Voeux du Président, Joël Mergui

La preuve par l’épreuve… qui nous renforce et nous grandit 

De par son ampleur, sa gravité et sa durée, la crise sanitaire que nous espérons avoir enfin surmontée en dépit des derniers rebonds dus aux nouveaux variants, ne pourra rester sans conséquences sur l’avenir de notre société en général, et de notre communauté en particulier. Il nous faut sans doute reconsidérer certains modes de fonctionnement du « monde d’avant », prendre la mesure de notre fragilité au vu de l’effondrement de tout un système de vie provoqué du jour au lendemain, panser nos plaies suite à ce fléau qui a figé nos vies, suscité des séparations interminables et nous a privés de tant d’êtres chers.

Au terme de cette période, qui est sans nul doute la plus éprouvante de son histoire récente, le Consistoire se doit de tirer les leçons de certains épisodes du cataclysme épidémique qui a bouleversé le judaïsme français mais qui a aussi, contre toute attente, comme un feu qui ravage une forêt, ouvert des perspectives de renouveau et d’un futur meilleur pour notre communauté.

Le Consistoire a su faire face aux défis inédits et douloureux auxquels il s’est trouvé confronté du jour au lendemain, conjurant ainsi les effets les plus délétères d’une catastrophe annoncée : nos aumôneries, nos rabbins, présidents et administrateurs, nos permanents, nos bénévoles des communautés se sont tous mobilisés massivement pour entourer et assister les malades du Covid pendant toute cette période difficile, sans parler de notre Hevra kaddicha qui, hélas, a dû fonctionner au maximum de ses capacités pour intervenir auprès des familles endeuillées. Par ailleurs, les transferts de corps et inhumations en Israël ont fait l’objet d’un engagement quotidien du Consistoire grâce aux liens privilégiés que nous entretenons avec les services consulaires israéliens qui se sont montrés d’une efficacité et d’une sollicitude remarquables.

Cette crise hors normes a démontré qu’à l’image du secteur public de la cité, le Consistoire n’avait d’autre choix lui aussi que d’assurer la continuité de ses services dans les pires circonstances. Assaillis par les urgences qui fusaient de toute part, il devint évident que nous ne pouvions nous permettre de fermer un seul jour. Cette épreuve sans précédent a révélé les ressources d’une institution capable de s’adapter à toutes les situations. Son histoire bicentenaire combinée à la richesse de son assise patrimoniale et fédérative, à ses facultés de synergie et surtout à son socle de solidarité intercommunautaire qui assure aux structures les plus faibles le soutien constant des plus fortes, à l’image de l’ACIP, pour le Consistoire Central, l’ont dotée d’une force de résistance, de résilience et d’action dont elle vient encore, à l’occasion de cette crise, d’administrer une preuve éclatante.

A titre d’exemple, il ne fait aucun doute que notre gestion des phases de confinement et déconfinement de nos lieux de culte par le biais de nos campagnes de prévention et de sensibilisation aux restrictions sanitaires a permis de restaurer la vie religieuse tout en préservant la bonne santé de l’immense majorité de nos fidèles. Bien que traumatisée par la litanie quotidienne des annonces d’hospitalisation et de décès du Covid qui ont frappé leurs rangs, nos communautés ont su maintenir un niveau honorable de pratique religieuse et culturelle, aidées en cela par la technologie du Zoom qui a permis de sauvegarder « en distanciel » une multitude d’activités dans tous les domaines de la vie juive.

L’expérience et la connaissance de notre institution et de son tissu associatif, acquises tout au long de ces années, m’ont amené à prendre des décisions difficiles, et je ne remercierai jamais assez les élus, les militants et les permanents consistoriaux qui m’ont accompagné dans cette période difficile pour sauver des vies, sauver des synagogues et préserver la pratique du judaïsme.

Les services consistoriaux, ainsi que cette vie sociale, culturelle et religieuse que nous sommes parvenus à maintenir envers et contre tout, nous les devons, en effet, à la mobilisation et au dévouement sans faille de nos rabbins, présidents, administrateurs et permanents des consistoires régionaux et locaux qui, pendant cette longue période d’ébranlement de notre société, sont restés debout sur le pont du bateau consistorial pour en assurer la flottaison et la navigation au long cours face à la tempête épidémique qui, grâce au Ciel et à la vaccination de masse, s’apaise progressivement.

Quant au Centre Européen du Judaïsme, aussi fonctionnel que prestigieux, inauguré quelques semaines avant la pandémie, il s’est vite imposé comme l’un des principaux acteurs du judaïsme d’Ile-de-France et de France. La mise « en stand-by » de la première saison de programmation 2020 nous a permis de consacrer toutes nos forces à l’ensemble des communautés confrontées à la dureté de la crise sanitaire, mais aussi d’exploiter cette longue période de marasme social pour opérer, sous la supervision de nos directeurs, la plus grande mue logistique et administrative de toute l’histoire du Consistoire en transférant la plupart des services du siège séculaire de la rue Saint-Georges vers le bâtiment flambant neuf de la place de Jérusalem. Outil structurel et culturel au service de tous les acteurs associatifs de notre communauté, auxquels les espaces d’activités et de réception sont ouverts et accessibles de façon prioritaire, et dont le confort intérieur et l’esthétique architecturale avant-gardiste projettent notre ancienne institution dans le 21ème siècle, au rang qui est le sien au sein du judaïsme européen et participe à sa modernisation.

En matière de lien social, les confinements successifs et les restrictions d’effectifs dans nos lieux de culte ont, paradoxalement, incité le Consistoire et les communautés à faire preuve d’inventivité et, grâce aux outils numériques de cours en ligne et de réunions à distance, à créer des activités encore plus importantes et plus diversifiées qu’avant la crise sanitaire : innombrables Divré-Torah en ligne, diffusion des lectures de la sidra, Lag baOmer à distance, Chavou’ot à distance… Virtuelle ou réelle, la synagogue est devenue pendant cette crise le seul lieu où le lien social a pu être maintenu d’une façon vivante et conviviale. L’an passé j’implorais les fidèles pour qu’ils restent chez eux.

Désormais, avec l’espoir d’une maîtrise progressive de la crise sanitaire, je n’aurai de cesse de les inciter à réinvestir leurs lieux communautaires dans le respect des règles en vigueur.

Nous avons privilégié la vie par la rigueur imposée. Ainsi, l’alternance des phases de réduction d’effectifs et de fermeture de nos lieux de culte pendant une si longue période a grevé lourdement la trésorerie de nos synagogues. C’était le sens de nombre de mes appels publics. Grâce à une mobilisation sans précédent de nos dirigeants de communautés, de nos élus et de nos permanents, notre grande campagne du « SYNA-DONS », lancée après les fêtes de Tichri 2020, et que nous renouvellerons cette année, a permis d’amortir quelque peu cette tendance à la baisse des dons. Et au-delà de l’aspect financier, la conséquence la plus heureuse de cette dynamique de solidarité d’un nouveau genre, relayée par des hautes personnalités du monde juif, a été de faire comprendre, aussi bien à nos gouvernants, à nos fondations qu’à nos coreligionnaires les plus éloignés du cœur de la communauté, que la synagogue n’était pas seulement un lieu de pratique confessionnelle, mais aussi un vecteur névralgique de la transmission des valeurs et de l’identité juive, et sans doute le dernier ilot de l’expression du collectif judaïque. Sans synagogues, il n’y a plus de judaïsme. L’Etat a fait savoir qu’il avait entendu notre appel en acceptant de donner un « coup de pouce » à nos lieux de culte. Pour que la religion ne reste pas le parent pauvre de la solidarité nationale, il a relevé le taux de défiscalisation des dons à 75% (dans la limite de 554€ par an) en sus des réductions d’impôts habituelles. Et puisque l’Etat nous a entendus, nous devons montrer que ce signe d’encouragement a été reçu par notre communauté en augmentant nos contributions à nos synagogues.

La construction, la mise aux normes, la sécurisation et l’entretien quotidien de nos lieux communautaires sont l’un des meilleurs indicateurs de la bonne santé du judaïsme. C’est ainsi que, poursuivant cette politique de promotion patrimoniale engagée depuis le début de ma prise de responsabilités, nombre d’édifices ont pu être mis en chantier et d’autres (synagogues, centres culturels, mikvaot) ont pu être inaugurés même pendant cette période difficile 2020-2021. Avec le lancement du projet du CEJ, il y a quelques années, j’ai marqué ma détermination à refuser le dilemme fallacieux « PARTIR OU BATIR » qui s’invite régulièrement dans nos débats sur l’avenir du judaïsme français, encourageant ainsi l’émergence de nombreux chantiers consistoriaux et d’autres projets communautaires initiés par des institutions courageuses et volontaristes.

Cette confiance dans l’avenir du judaïsme français ne nous a jamais empêchés, bien au contraire, de poursuivre notre engagement sans faille aux côtés de l’Etat d’Israël qui, nul ne l’ignore, constitue la meilleure garantie de la pérennité du judaïsme partout dans le monde. Fût-ce en mode « distanciel », nous avons tenu à maintenir les célébrations de Yom Yerushalaïm, de Yom Ha’atsma’out, ainsi que la cérémonie en l’honneur des Olim de France. Et comme toujours, nous avons déployé tous les efforts possibles pour contrecarrer les complicités et complaisances dont bénéficient les ennemis d’Israël les plus acharnés, notamment à la suite des violences meurtrières provoquées en mai 2021 par le Hamas.

Nous nous sommes fortement impliqués également dans la lutte contre l’antisémitisme, notamment pour réclamer que justice soit faite dans l’affaire de l’assassinat barbare du Dr Sarah Halimi z.l. Le Consistoire a ainsi pris sa part dans la tenue de la grande manifestation du 25 avril dernier place du Trocadéro qui a fait suite au verdict effarant de la cour de cassation.

La persévérance inouïe des autorités judiciaires à nier dans un premier temps le caractère antijuif de cet acte abominable, puis son obstination à dédouaner son auteur de toute responsabilité légale auront été le marqueur le plus symptomatique du malaise de notre société dans son rapport à l’antisémitisme. C’est pourquoi nous ne baisserons la garde, ni sur l’islamisme, ni sur la montée des extrêmes. Nous attendons une réduction significative des actes antisémites. Dans cette période de crise, la montée des extrêmes devra être combattue sans concession par les citoyens juifs que nous sommes, garants de notre mémoire et vigilants sur l’avenir de notre société.

Autre sujet de préoccupation, celui qui nous enjoint d’exprimer notre solidarité aux commerces communautaires qui ont beaucoup souffert du marasme provoqué par l’épidémie. Efforçons-nous de privilégier ces « ambassadeurs » des labels consistoriaux Beth Din qui comptent parmi les meilleurs défenseurs de notre cheh’ita. Car prenons garde, si elles étaient adoptées par la France, les nouvelles dispositions de l’Union Européenne en la matière reviendraient à interdire l’abattage rituel sur notre sol.

Dans le domaine éducatif, on pourrait reprendre à notre compte l’adage talmudique « Gam zou létova » (Ca aussi c’est pour le bien). Ayant opéré depuis plusieurs années, et bien avant les périodes de confinement, le tournant de l’enseignement à distance, le Consistoire s’est vu récompensé par le regain de succès de sa méthode de E-Learning qui permet à tous les enfants, où qu’ils soient, de suivre les programmes du Talmud-Torah adaptés au mode distanciel. Par ailleurs, les performances de nos outils numériques d’information, mis au service de tous nos segments d’activité, ont démultiplié nos capacités à « faire-savoir », réunir et rapprocher les services de l’institution avec ses usagers. Ces outils viennent désormais en renfort d’une politique de communication, de transmission et d’éducation dont l’objet est d’organiser au quotidien le partage de nos évènements à l’échelle nationale et la diffusion hebdomadaire d’innombrables cours rabbiniques, auxquels s’ajoute tout au long de l’année la diffusion de clips didactiques qui présentent les sources bibliques, rabbiniques, historiques et philosophiques de chacune des fêtes de notre calendrier.

Quant à la bienfaisance, « Guemilout h’assadim », qui est l’un des trois piliers du judaïsme énoncés dans le Talmud, il demeure au cœur de notre mobilisation pendant cette terrible période que nous traversons, ceci à travers nos campagnes du Secours Juif organisées avant chaque Éditorial du Président du Consistoire fête, mais aussi à travers les innombrables actions de solidarité menées au quotidien par nos communautés en faveur des déshérités, des personnes âgées, des esseulés, des malades et des âmes en peine, ce qui fait de la sphère consistoriale l’un des principaux pôles d’action sociale de proximité du monde juif.

Après une phase de marasme et de dépression d’une telle ampleur, mon premier souhait est d’entrevoir enfin les signaux d’une reprise de confiance et d’activité au sein de la communauté, de sentir que le besoin de vie sociale reprend le pas sur l’angoisse et le repli sur soi. Que chacun reprenne sa place dans sa synagogue ! Que chacun revienne dans son cours de Torah, sa conférence, son oulpan d’hébreu ! Que chaque dirigeant, rabbin ou laïc, investisse dans l’avenir en anticipant les demandes de lien communautaire, les besoins religieux et culturels de leurs membres !

Que les outils numériques qui nous ont été si utiles en période de crise pour surmonter l’absence et la distance, deviennent les instruments d’un rapprochement subtile entre le présentiel et le distanciel, favorisant ainsi le retour à la vie réelle et spasmodique d’une collectivité qui se retrouve en réunissant enfin le proche et le lointain, le bien-portant et le souffrant, le communautaire et le solitaire !

Institution de référence du judaïsme français, le Consistoire s’est senti galvanisé par l’adversité qui depuis mars 2020 a touché l’ensemble de ses membres. Il s’est senti investi du devoir de préserver l’existant, tellement malmené par la crise épidémique, mais aussi de préparer le futur en mettant en place des systèmes de défense de nos valeurs en faveur de tous les membres de notre communauté et de toutes les tendances du judaïsme, notamment à travers notre bataille pour la défense de notre culte et de nos synagogues, pour la préservation de l’abattage rituel, et tant d’autres initiatives d’ordre structurel et patrimonial dont les effets se feront sentir sur le long terme.

Tout au long de ces années de responsabilités, émaillées de nombreux défis, particulièrement ceux de ces deux dernières années où l’inquiétude prédominait, j’ai tout mis en œuvre pour maintenir la confiance dans l’avenir, sans laquelle rien n’est possible. C’est cette confiance que je me suis attaché à renforcer de toutes mes forces en multipliant les rencontres entre tous les acteurs et leaders de notre communauté, qui ainsi se connaissent mieux et coopèrent régulièrement à la réussite de nos projets communs. Mais aussi le lien de confiance avec nos interlocuteurs de l’Etat et des collectivités, dont la meilleure preuve est cette réactivité bienveillante avec laquelle ils répondent à nos attentes. La confiance, c’est aussi cette ligne de conduite que j’ai tracée sous le nom d’ « Aliya intérieure » pour compenser le flux sortant des Olim par un flux entrant de nouvelles forces vives, donnant ainsi un nouvel élan à notre communauté.

Dans la perspective des fêtes de Tichri et de la prochaine rentrée communautaire, il nous faut donc faire campagne pour revenir autant que faire se peut à notre tradition millénaire de présence physique dans nos activités communautaires, mais toutefois sans supprimer totalement le mode « distanciel » qui a largement fait ses preuves pendant cette longue crise sanitaire. Ainsi nous additionnerons et conjuguerons tous les vecteurs du lien communautaire afin de continuer à rassembler tous les Juifs, ceux présents tous les jours, et ceux à la fois éloignés mais toujours là quelque part au seuil d’un potentiel retour dans le giron communautaire.

Et si ce volontarisme qui irrigue l’ensemble de nos projets, cette confiance dans l’avenir et cette mutation de nos modes d’action et de communication rendue possible par cette révolution numérique favorisée par cette crise sans précédent, nous aidaient enfin ב’’ה à faire revenir ce fameux cinquième fils, grand absent de la table du séder ?!

Que vous soyez inscrits dans le livre de la vie.

Chana tova

Joël Mergui

Président