Voeux du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia

L’année 5781 qui s’achève fut encore fortement marquée par la pandémie mondiale. Contraints de drastiquement modifier nos comportements du quotidien, la crise sanitaire a profondément altéré notre rapport au temps. Nous avons changé nos repères, nous avons passé deux fêtes de Pessa’h repliés sur une petite cellule familiale. Certains ont connu des difficultés économiques ou sociales, beaucoup ont été malades. D’autres ont malheureusement dû faire face à la perte d’un être cher dans des circonstances particulièrement difficiles.

A la veille de cette nouvelle année, tandis que nous nous apprêtons à tracer les lignes d’un bilan, il nous faut apprécier nos actions et nos démarches dans le contexte de cette situation inédite et ce, alors même que nous avons passé une grande partie de l’année confinés.

Roch Hachana est le temps de la sonnerie du chofar : « Il sera pour vous un jour de sonnerie » (Nombres XXIX, 1). Le chofar, cette corne de bélier, représente le cœur de ces journées si particulières qui correspondent au jour anniversaire de la création de l’Homme par le Tout Puissant. Avec l’apparition d’Adam et son épouse Ève, l’Eternel devient le porteur du titre de Roi de l’Humanité. Pour rappeler le début de Son règne, nous sonnons du Chofar à l’instar des grandes cours royales où le couronnement d’un souverain était accompagné de telles sonneries.

Cet enseignement de Rav Saadia Gaon doit toujours nous donner confiance en l’avenir car en sillonnant les routes de France, je peux mesurer à quel point vous tous, collectivement, contribuez à construire l’espérance pour demain, à travers le dynamisme de vos communautés, et je veux vous assurer que votre dévouement au quotidien est comme ces sonneries de trompettes qui manifestent la grandeur divine. Oui, l’action du Consistoire sur l’ensemble du territoire est une sanctification du Nom divin et une Lumière pour la République.

Vous devez en être conscients.

Nos anciens, gardiens de la mémoire, acteurs de la transmission auprès des plus jeunes, ont été placés à l’écart de toute vie sociale. Bien sûr, il s’agissait de les protéger, de les préserver ainsi d’un virus dont on ne savait presque rien. Cependant, cette exclusion les a profondément atteints, les plongeant parfois dans un dangereux spleen, alors qu’il nous fallait faire preuve d’un sursaut pour ne pas qu’ils se sentent délaissés. Il a fallu rappeler que la distanciation physique n’interdisait pas le lien social, bien au contraire ! Avec l’avancement de la campagne de vaccination, je les encourage désormais, à retrouver les bancs de la synagogue afin de nous éclairer de sagesse, car ils ne sont pas les acteurs du passé, mais bien les piliers du présent. Ils ont formé notre temps et en font partie intégrante. C’est pourquoi, à Rosh Hashana, Yom Hazikaron, nous nous souvenons de ces anciens, et nous nous unissons dans cette période du pardon autour d’eux.

Cette année fut également marquée par la décision inadmissible de la Cour de Cassation relative à la mort du docteur Sarah Halimi zal, portant ainsi un coup d’étouffoir à ce meurtre satanique. Cet assassinat est incontestablement antisémite, quasiment un meurtre rituel, comme en attestent objectivement les propos du meurtrier proférés durant son forfait. Or, la nouvelle jurisprudence que consacre notre juridiction suprême, menace désormais tous les citoyens indépendamment de leurs croyances et toutes les valeurs suprêmes de notre république laïque, tant elle « sacralise » l’impunité et même l’irresponsabilité, sous certaines conditions « opératoires », de tous les auteurs d’actes de violence inspirés par quelque idéologie que ce soit, et quand bien même il s’agirait des plus aveugles et des plus barbares. Alors que penser, que dire et surtout, que faire, en présence d’une décision judiciaire vouée à laisser tout honnête homme ou femme dans la sidération ? Ne pas baisser les bras devant l’autorité de la chose mal jugée. Ce fut le cas le 25 avril dernier, où partout en France, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées pour appeler les autorités publiques à garantir une justice véritablement rendue « au nom du peuple », et donc en notre nom. Comme la Bible nous enseigne que le monde se recrée chaque jour, il nous est donné d’espérer que le projet de loi « Halimi » permettra de laver ce déshonneur pour que la lumière de la justice jaillisse à nouveau. Car toute création est une nouvelle genèse…

Le début de mon second mandat de Grand Rabbin de France est également un rêve de réinvention. Je tiens ici, encore et encore, à vous remercier de m’avoir renouvelé votre confiance aussi largement. Ce faisant, vous avez légitimé mes actions, ma réflexion et la voie que je trace avec vous chaque jour pour faire rayonner le judaïsme français. Engagé pour servir et tisser du lien, je suis honoré de poursuivre la mission que vous me confiez. J’ai donc déjà lancé de nouveaux projets, comme la création d’une commission consultative de déontologie rabbinique lors d’un congrès rabbinique historique, puisqu’il s’est tenu à Strasbourg pour la première fois. Je continue également d’en développer d’autres qui ont déjà été couronnés de succès, comme l’accompagnement des personnels des écoles juives ou les visites rabbiniques dans les colonies de camps de vacances, sous la houlette du rabbin Laurent Berros. Bien sûr, de nouvelles initiatives verront encore le jour dans les prochains mois et j’aurai plaisir à vous retrouver lors de mes visites dans vos communautés, avec l’assouplissement des mesures sanitaires.

Après une année éprouvante, il nous est possible de mettre au jour les lignes directrices de ce que devrait être notre action pour demain et les jours qui suivront : il nous faut inlassablement poursuivre notre solidarité, l’aide, l’accompagnement et l’amour du prochain comme nous avons su si bien le faire ces derniers mois. Ces valeurs inhérentes au judaïsme, que nous portons en étendard, sont et font notre force. Elles sont d’ailleurs celles qui nous ont permis de résister aux oppresseurs, de vivre et survivre à travers les siècles.

Unis comme “un seul homme avec un seul cœur », les Juifs du monde entier célébreront Roch Hachana avec le vœu que nul ne reste seul un soir de fête et le souhait que cette épreuve, qui fut également l’occasion de formidables et remarquables élans de solidarité, soit derrière nous. Une nouvelle année pourra alors s’ouvrir, pleine de promesses, de nouveaux espoirs et d’espérance.

Puisse cette nouvelle année être belle, douce et abondante en bénédictions,

Puisse chacune et chacun œuvrer pour le bien et l’amour du prochain.

Puissiez-vous toutes et tous, ainsi que celles et ceux qui vous sont chers, être inscrits dans le Livre de la Vie.

Chana Tova Oumetouka,

Bonne année 5782,

Haïm Korsia

Grand Rabbin de France
Membre de l’Institut