Voeux 5781 du Président Joël Mergui

Comment choisir les mots appropriés pour évoquer la situation que nous avons vécue et que nous continuons de vivre ? Comment apaiser, consoler face à tant de situations douloureuses ? En quelques semaines, tous nos repères ont volé en éclats, et le monde d’hier a laissé place à une nouvelle réalité.

Toute proportion gardée et sans comparaison possible entre les deux périodes, c’est bien la première fois depuis la guerre que des pays entiers subissent un tel ébranlement de leur zone de confort habituelle et qu’un mal invisible sème la maladie et la mort à une telle échelle et dans tous les milieux, nous oblige à un si long retranchement dans nos maisons, paralyse la société et l’économie, obère le proche avenir de tant d’incertitudes.

La communauté juive française n’a pas été épargnée par cette crise sanitaire, en raison sans doute d’un degré de sociabilité familiale et communautaire particulièrement marqué avant le confinement.

Pour la première fois depuis l’occupation, nos synagogues ont dû être fermées avec l’accord unanime de nos rabbins, en vertu du principe fondamental de notre tradition qui impose de privilégier la vie. Pour autant, la vie communautaire ne s’est pas interrompue, elle s’est transformée. Les technologies modernes nous ont permis de « garder le contact », elles ont rendu possible les échanges au sein des familles, des groupes d’amis, des communautés.

La solidarité communautaire a ainsi pu continuer à fonctionner, grâce notamment à l’action exemplaire des dirigeants de nos synagogues et de tant de fidèles admirables qui se sont efforcés de maintenir le lien social pour sortir nombre de familles de leur solitude et leur venir en aide.

Nous nous sommes également efforcés d’innover en mettant en place de multiples initiatives afin de continuer à nourrir la vie spirituelle de nos fidèles, notamment à l’occasion des fêtes. Nos Rabbins ont multiplié les offices collectifs à distance, ou encore les enseignements en direct ou par enregistrement. Nous avons également mis en place le télé-enseignement pour les enfants (E-learning) afin de poursuivre l’œuvre du Talmud Torah.

Mais cette période restera gravée dans nos esprits et dans nos cœurs en raison de tous ceux qui ont souffert personnellement de cette maladie, et bien-sûr en raison du départ soudain de ce monde de tant de nos sœurs et de nos frères. Le traumatisme vécu par leurs familles est indescriptible, notamment en raison de l’impossibilité à leur rendre l’hommage funéraire qui leur était dû.

A cet égard, le Consistoire a pris l’initiative de créer un « mémorial virtuel »  et d’écrire un Sefer Torah national en souvenir de tous nos coreligionnaires décédés pendant cette période. Parmi eux, nous comptons des rabbins, des responsables de communautés, des militants qui ont été de tous les combats du peuple juif. Et que dire de tous les anonymes, chacun porteur d’une histoire, d’une sensibilité, d’une générosité, de tant de qualités qui contribuaient à éclairer le monde.

La distanciation physique imposée durant cette période s’est accompagnée paradoxalement d’une proximité inégalée dans les cœurs. Nous avons pleuré pour des drames relatifs à des personnes que nous connaissions parfois à peine, tout comme nous nous sommes réjouis pour les bonnes nouvelles que nous entendions. Un nombre incalculable de chaines de Tehilim se sont mises en place pour tant de nos frères et de nos sœurs.

J’aimerais rendre hommage à tous ceux, rabbins, présidents, responsables communautaires, médecins, qui se sont mobilisés afin de nous aider à traverser cette douloureuse période puis à rendre possible la réouverture de nos synagogues. Il s’agit d’un grand défi du quotidien qui suppose la participation de tous surtout au moment de la préparation des fêtes de Tichri.

J’aimerais à cet égard remercier tous nos fidèles qui respectent scrupuleusement ces consignes et rendent possible cette reprise de la vie communautaire.

Rétrospectivement l’année communautaire avait pourtant si bien commencé avec l’inauguration du Centre Européen du Judaïsme en présence du président de la République, de tous les acteurs et bienfaiteurs qui ont concouru à son édification, après l’inauguration de la bien nommée « Place Jérusalem ». Adresse de rêve pour ce phare du judaïsme qui s’inscrit pleinement à la jonction de notre culture européenne et de l’inspiration spirituelle et sioniste qui irradie l’ensemble de ses programmes.

Nouvelle adresse pour ce nouveau grand pôle consistorial.

Je remercie toutes celles et ceux qui m’ont accompagné dans ce grand projet et qui le feront vivre et se développer au service du judaïsme Français.

Ce vaste complexe, culturel, cultuel et institutionnel, d’une modernité architecturale affirmée, est sans conteste le signe de confiance dans l’avenir du judaïsme francilien, hexagonal, et européen, le plus audacieux depuis des décennies.

En dépit des incertitudes qui pèsent sur l’avenir et avec la même confiance en l’avenir, nombre de communautés à travers la France ont rénové, agrandi, créé, initié de nouveaux projets et je tiens ici à les remercier pour leur courage et leur esprit de résistance.

Les pouvoirs publics ont-ils compris le formidable pari sur l’avenir de ce grand projet pilote et des multiples projets développés à travers nos communautés et ce malgré les haines vécues ces dernières années et qui ne font que s’amplifier ?

C’est cet élan d’espoir qui a été stoppé par la pandémie.

Vous l’avez compris, nous sommes sur une ligne de crête déterminante pour l’avenir de nos communautés. Comme je l’ai toujours fait, je m’adresse à chacun avec franchise et transparence comme à nos interlocuteurs institutionnels et étatiques. Vous le savez, la crise sanitaire qui a affecté toute l’économie de notre pays, a aussi affecté profondément la stabilité financière des institutions consistoriales et de nos synagogues. Ces dernières vivent essentiellement des contributions des fidèles. Or il n’y a pratiquement pas eu de dons pendant trois mois qui comptent parmi les plus fédérateurs de notre calendrier avec les fêtes de Pessah, Lag Baomer et Chavouot. En outre, la reprise se fait avec moins de monde, sans oublier que nos fidèles aussi ont des préoccupations économiques.

Pourtant, les responsabilités des institutions consistoriales ne changent pas. Elles continuent d’avoir la charge de services indispensables à la vie juive quotidienne comme la cacherout, les mariages, les services mortuaires, le secours juif, le Rabbinat, le patrimoine, la transmission, l’identité, l’aumônerie et tant d’autres qui ont été maintenus en pleine crise et doivent absolument être pérennisés.

Quelle que soit notre sensibilité religieuse, nul ne peut ignorer que si les consistoires faiblissent, si nos synagogues sont fragilisées, c’est l’ensemble de la vie juive religieuse et non religieuse de notre pays qui est menacée.

Aussi, j’en appelle à la solidarité de tous.

Nos fidèles et donateurs sont en première ligne naturellement et nous savons pouvoir compter sur eux. A cet égard, je me permets de rappeler que nous mettons tous nos espoirs dans les campagnes de solidarité que nous lançons en cette rentrée communautaire : appels de dons exceptionnels, réservations des places de Kipour, campagne d’adhésion, « Paniers de Tichri », Secours Juif en faveur de nos familles en difficulté, et un appel à tous les fidèles et donateurs de nos synagogues pour qu’ils consentent, à maintenir en 2020 leur niveau de dons des années précédentes. Mais, toutes ces contributions, aussi nécessaires soient- elles, ne suffiront pas. L’élan de solidarité doit s’étendre à tous.

Les synagogues et le consistoire ont toujours su se mobiliser en faveur de toutes les causes relatives à la vie juive en ouvrant les portes de nos synagogues à tous les appels de solidarité. Nos institutions « œurs » sauront j’en suis sûr aussi se mobiliser aujourd’hui pour nos synagogues. Les grandes fondations juives qui bénéficient parfois de dotations très importantes sauront je l’espère être elles aussi présentes à nos côtés.

Enfin, à l’heure où la solidarité de la République se mobilise pour aider tous les secteurs de notre société, cette solidarité ne saurait exclure les cultes, et notamment le Consistoire qui a une responsabilité et des prérogatives essentielles dans le paysage national. La France se réjouit à juste titre de la longue histoire du judaïsme français, aussi, nul ne peut ignorer que laisser s’affaiblir le judaïsme de France, c’est laisser s’affaiblir la France.

Le Judaïsme français doit effectivement rester fort et notre institution également. Plus que jamais, il m’appartient d’y veiller avec vous. Particulièrement devant les défis à venir, au moment où la crise économique risque de voir une nouvelle montée des haines et des extrêmes.

Face à ces énormes défis nationaux et internationaux, je sais pouvoir compter sur la mobilisation active et responsable de notre belle communauté.

Le dévouement sans limite de notre leadership communautaire local qui traduit une unité d’action de l’ensemble du judaïsme organisé autour d’un seul objectif : maintenir et développer la flamme du judaïsme en surmontant les pires difficultés du moment.

J’ai été particulièrement frappé par l’esprit de responsabilité qui a prévalu parmi nos décisionnaires halakhiques qui se sont efforcés d’alléger autant que possible certaines obligations religieuses (fermeture des synagogues, des mikvés, allègements de certaines prescriptions d’ordinaire impératives…) au nom d’un grand principe : « et tu préserveras la vie ».

C’est avec ce même sens des responsabilités et cette même maturité d’esprit qu’ils nous incitent aujourd’hui à sortir de notre isolement, renouer le lien communautaire et, dans le respect le plus rigoureux des règles sanitaires, à réinvestir progressivement tous les lieux de vie juive au nom d’un autre principe talmudique : « ne te sépare jamais de la communauté ».

Chacun le comprend bien, tous ces aménagements ne doivent pas provoquer une dégradation de notre vie juive mais au contraire faire de chacun d’entre nous des acteurs engagés et responsables, encore plus attentifs aux fondements du judaïsme et aux qualités de cœur nécessaires au « vivre ensemble ».

L’époque contemporaine s’est caractérisée par une course effrénée à l’innovation, à la vitesse, et à la réussite matérielle, portée par l’irruption des nouvelles technologies dans nos vies. L’épidémie qui a frappé le monde a subitement mis un coup d’arrêt à ce tourbillon et figé l’humanité.

Or, avec le confinement, nous avons pu avoir une nouvelle lecture de nos besoins réels. Cette situation nous a fait toucher du doigt combien notre bonheur n’est pas dépendant des biens matériels. Elle a également mis en lumière le fait que la plus grande richesse à laquelle un homme peut prétendre est avant tout « intérieure », dans nos communautés, dans nos foyers, et, bien sûr, en nous-mêmes, dans nos cœurs et dans nos âmes.

Il serait fort imprudent de penser pouvoir donner une leçon universelle à tirer de ces évènements. Ce serait encore rajouter du « bruit » ou des « paroles » inutiles là où la pudeur exige le silence.

Chacun a probablement perçu durant cette période des réalités qui lui échappaient, et trouvé une force qui lui faisait jusque-là défaut pour prendre de nouvelles résolutions.

Chacun a sans aucun doute mesuré le trésor que représentent les relations familiales, sociales ou encore communautaires qui animent notre quotidien et dont nous ne mesurons pas toujours la pleine valeur.

Enfin, même les plus éloignés de nos traditions, ont perçu ces étincelles de foi qui nous ont permis de traverser l’histoire.

Puissent ces étincelles nous protéger, apporter une guérison complète à tous les malades, et permettre à l’humanité d’être rapidement libérée de cette épidémie terrible ! Et, comme le dit notre liturgie, « Puisse la nouvelle année débuter avec ses bénédictions ».

Que vous soyez inscrits dans le livre de la vie.