Voeux 5781 du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia

A la veille de Roch Hachana, il est de coutume de se retourner sur l’année qui s’achève et se remémorer ce qui aura marqué les douze mois écoulés, pour pouvoir se lancer pleinement dans l’année qui commence et mieux encore se projeter dans l’avenir.

Cette année fut tout à la fois belle et éprouvante ; belle car elle a permis de jolies réalisations communautaires locales et nationales, et en premier lieu, l’inauguration du Centre du Judaïsme Européen. C’est l’occasion de remercier le président Joël Mergui pour son travail inlassable. Cette année, ce fut également la poursuite de mes déplacements toujours aussi nombreux dans vos communautés si dynamiques, pour lesquelles vous vous engagez quotidiennement. Mais on ne peut oublier qu’elle fut difficile à maints égards, et pour d’aucuns particulièrement douloureuse. Face à une pandémie mondiale sans précédent, nous avons été, pendant plus de deux mois, assignés à domicile pendant que d’autres, au front, menaient une guerre sanitaire contre un nouveau virus dont on ne sait toujours presque rien.

D’aucuns d’entre nous ont dû faire face à un isolement extrême pendant des semaines et célébrer les fêtes de Pessah loin de leur famille, d’autres ont souffert dans leurs chairs ou perdu des proches. Collectivement, nous avons été profondément atteints par ce mal invisible mais redoutable, contraints de restreindre drastiquement nos actions. Privés de nos libertés parfois les plus fondamentales, nous avons eu tout loisir cependant pour réfléchir à nos modes de vie pour éventuellement les infléchir.

Nous avons produit de l’unité, des décisions courageuses qui ont fait le choix de la protection de la vie et nous avons accompagné tant de nos familles dans la peine avec un dévouement des rabbins et des cadres communautaires que je veux saluer avec respect ici.

Si nous parlons tous d’un nouveau monde qui doit advenir après cette crise, chacun pense que celui-ci sera à l’image de ce qu’il croyait avant. Il nous faut être capable de défaire ce que nous prônions afin d’inventer un autre monde, et pas forcément un nouveau monde. Nous avons besoin de ce que nous ne remarquions même pas lorsque nous l’avions, de ce qui est simple. Nous avons besoin de nous parler, et peut être, enfin, d’écouter ce que nous n’entendions plus. Mais nous voulons être dans l’action, comme l’Eternel nous le demande dans la Genèse, juste après la création du monde : « A vous de faire ! » Car cet autre monde sera celui où nous nous engagerons à faire et non plus à subir les choix qui ne sont pas les nôtres. La peur, sain mécanisme de survie, ne doit jamais engendrer la Haine de l’autre car cela devient alors pire que le Mal.

Comment ne pas mentionner spécifiquement le déferlement complotiste et souvent antisémite qui s’est abattu sur les réseaux sociaux pendant le confinement ? Comment oublier que quelques mois auparavant était justement votée la loi Avia visant à sanctionner les contenus haineux en ligne et obligeant les hébergeurs à une rapide réaction, synonyme de détermination absolue à endiguer haine, racisme et antisémitisme sur internet ? Mais c’était sans compter sur l’absence de courage du Conseil Constitutionnel. En choisissant délibérément de ne pas sortir des sentiers battus, le Conseil Constitutionnel s’est borné à la passivité et au conformisme. Il a fait montre de tiédeur en décidant que certaines modalités prévues par la loi restreindraient la liberté d’expression de manière ni adaptée, ni nécessaire, ni proportionnée aux exigences de la lutte contre la haine en ligne, c’est-à-dire, on le sait, essentiellement contre le racisme et l’antisémitisme.

Certes, la liberté d’expression est un des biens publics les plus précieux sous tous les régimes politiques, qu’il s’agisse des meilleurs de ces régimes – pour qu’ils le demeurent – ou des pires – pour qu’ils s’effacent. Mais comme toutes les libertés, la liberté d’expression doit s’arrêter pour les uns là où commence la liberté des autres. Il ne saurait sans contradiction y avoir dans ce régime de liberté d’expression hégémonique.

Aussi faudra-t-il toujours s’élever contre celles et ceux qui usent et abusent de leur notoriété pour déterrer de vieilles théories antisémites, comme celle du peuple déicide, tout comme ceux qui dévoient la cause antiraciste qu’ils prétendent défendre en criant « sale juif » dans les rues de Paris…

Le virus de la haine doit être éradiqué de façon radicale et exemplaire. Il ne suffit pas d’éduquer les jeunes générations au respect, à l’ouverture, à la tolérance et au partage mais il faut aussi être en capacité de sanctionner avec fermeté et détermination. Aussi je salue la récente avancée dans le dossier judiciaire relatif au meurtre de Mireille Knoll zal, et la reconnaissance (enfin) de la circonstance aggravante d’antisémitisme.

C’est cette nécessité d’expliquer à nos concitoyens que nous sommes des lanceurs d’alerte sur l’état de la société et que ce que nous espérons au moment de Roch Hachana, nous le rêvons pour toute la Nation. La prière de la République que nous récitons dans nos synagogues, nous la partageons avec tous les Français, comme la prière de la pluie que nous chanterons à la fin de Soukot a vocation à irriguer tout le pays. La bénédiction divine que nous appelons de nos prières est notre cadeau à la France car c’est notre espérance.

Alors que nous nous apprêtons à refermer le livre d’une année à maints égards difficile, choisissons d’inscrire la nouvelle année qui s’ouvre dans le rassemblement et la fraternité. Nous devons resserrer les liens qui nous unissent comme citoyens ; nous devons aller à la rencontre de l’Autre, dans le respect et la tolérance, sans que jamais personne n’ait le sentiment d’être abandonné au bord du chemin, car nous sommes à l’aube de nouveaux défis, de nouveaux combats.

C’est ce souffle de fraternité que nous créons lors des grandes fêtes de Tichri, en nous rassemblant largement dans nos synagogues, en particulier lors de Hochana Raba. Nous utilisons un bouquet de branches de saule et le Imré Emet, rabbi de Gour au début du XXème siècle, en donne la signification suivante : parmi les quatre espèces agitées quotidiennement à Soukot, le palmier, la myrte, le cédrat et le saule, ce dernier est le plus modeste car il ne donne aucun fruit comestible ni ne dégage le moindre parfum. Il représente ces personnes dépourvues de la connaissance de la Torah et distantes de la pratique des commandements. Au terme de notre chemin de vingt jours d’élévation spirituelle du mois de Tichri, nous tenons, en nous saisissant de ces branches de saule, à associer au destin de notre peuple, ces juifs oubliés de tous et souvent d’eux-mêmes, leur tendre la main, leur garantir qu’ils ont leur place dans nos communautés, dans nos synagogues et dans nos cœurs. C’est avec la diversité et la fraicheur qu’ils portent que nous ferons bouger les choses et que nous retrouverons le bonheur de faire découvrir notre judaïsme si ouvert. J’aime cette fête car elle reste peu connue et pourtant elle est au centre de nos préoccupations de toute l’année.

Je vous souhaite à toutes et tous de retrouver la joie et de ré-enchanter vos vies. Selon la formule consacrée à l’occasion de Roch Hachana, « Que cette année s’achève avec ses vicissitudes et que la nouvelle débute avec ses bénédictions ».

Chana Tova Oumetouka, puissiez-vous, ainsi que tous ceux qui vous sont chers, être inscrits dans le Livre de la Vie.