Séminaire national des dirigeants du Consistoire

L’édition 2019 du séminaire national des dirigeants communautaires s’est illustrée par deux traits originaux et saillants : sa « décentralisation » à Marseille, pour la 1ère fois depuis sa création, et l’inscription au programme de projets particulièrement innovants et prometteurs sur le thème générique « Faire vivre notre patrimoine ». Autre « innovation », météorologique celle-ci : ciel bleu et température clémente en plein hiver après tellement de séminaires passés dans la froidure et la neige. Bon début !

Ce 8ème millésime du séminaire consistorial ne pouvait pas ne pas s’inscrire dans les pas des précédents selon une sorte de scénario bien huilé, en 9 tableaux élaborés au fil des ans qui sont devenus autant de « figures imposées » qui structurent et canalisent un week-end bouillonnant, riche en enseignements, en échanges d’idées et en projets.

Comme chaque fois, le 1er tableau de ce scénario s’ouvrit sur le chahut joyeux de la réception d’un hôtel, ici le luxueux Golden Tulip Massalia situé à deux pas de la mer, transformé en caravansérail où surgirent l’une après l’autre les délégations communautaires venues de toute la France : Franciliens, Alsaciens, Lorrains, Aquitains, Provençaux, Rhodaniens, Bucco-Rhodaniens, Girondins, etc. Congratulations, clameurs, galéjades… où l’accent du midi permettait de remarquer les deux grands pôles du public présent : les Marseillais et azuréens, d’un côté, et tous les autres.

2ème tableau : les prières d’accueil du chabbat, chantées avec maestria par M. Yoni Bitton, qui assura également l’excellente restauration du séminaire, suivies des traditionnelles paroles de bienvenue du président Joël Mergui accompagné du maître de céans, le président du Consistoire de Marseille, Michel Cohen-Tenoudji, dont la bonne humeur conjointe eut tôt fait de booster l’ambiance et  le programme du séminaire dans une atmosphère détendue et quasi familiale.

Le président du Consistoire central salua l’ensemble des participants qui avaient fait l’effort de venir de si loin pour ce moment de convivialité, de partage et de ressourcement de la grande famille consistoriale, puis il présenta les lignes principales du programme du séminaire ainsi que les intervenants attendus tout le long du week-end, avant d’introduire à la tribune deux personnalités locales qui avaient tenu à rendre une visite de courtoisie et à saluer le public du séminaire, la députée, Mme Valérie Boyer, ainsi que le maire des 9ème et 10ème arrondissement de Marseille, M. Lionel Royer-Perrault.

3ème tableau : le repas du vendredi soir où, après une allocution de bienvenue du président du Consistoire régional d’Alpes-Provence, M. Zvi Amar, l’exercice du Dvar-Thora fut confié au grand rabbin de Marseille, rav Réouven Ohana, qui à l’occasion de la sidra hebdomadaire Terouma analysa la dialectique juive de l’unité et de la diversité. Il mit en regard l’unité grandiose du peuple d’Israël rassemblé au mont Sinaï pour la révélation de la Torah, unité soulignée dans le commentaire de Rachi de la sidra Yitro, et la pluralité des tribus de Jacob. Si l’unité, requise pour la présence de la Chekhina est si importante, ne pourrait-on se passer de cette multitude de tribus qui, a priori, semble antinomique avec la cohésion du peuple ? Le rav Ohana résolut ce paradoxe en expliquant que justement c’est cette diversité des facettes d’Israël incarnées par les 12 chevatim qui fait la richesse exceptionnelle de notre peuple et donne tout son sens au concept d’Unité. Sans le kaléidoscope de la multiplicité des communautés d’Israël nous ne serions qu’un pauvre bloc humain, monolithique informe… et totalitaire.

Vint ensuite le tour d’un journaliste ô combien apprécié des habitués du séminaire et qui les accompagne depuis son lancement, M. Daniel Haïk, rédacteur en chef du journal Haguesher. A l’approche des prochaines élections pour la 21ème Knesset, prévues le 9 avril prochain, il mit en lumière la singularité du débat public actuel qui agite la société israélienne, lequel, étonnamment, n’est pas du tout axé sur les grands enjeux habituels de ce type de scrutin : sécurité, économie, disparités sociales, politique étrangère…, mais se focalise au contraire sur un point de fixation tout à fait inattendu, à savoir des accusations de « malversations » et de « trafic d’influence » visant le premier ministre, Benjamin Netanyahou. Face au « Netanyahu bashing » qui place le premier ministre au cœur d’une campagne de dénigrement sans précédent, et après avoir rappelé les récriminations récurrentes contre son exercice du pouvoir jugé trop personnel et autoritaire, et les injustices sociales imputées à sa politique libérale, Daniel Haïk, jugea utile de rappeler la longévité exceptionnelle de son mandat de chef de gouvernement, ainsi que les grandes réussites qui lui sont reconnues parfois par ses plus farouches adversaires et des médias internationaux peu complaisants à son égard, comme par exemple la constance de la prospérité économique du pays, ainsi que les indiscutables conquêtes diplomatiques qui ont permis à Israël de revenir en grâce auprès d’innombrables pays à travers le monde.

Le 4e temps fort de ce séminaire, l’office du chabbat matin, dirigé par M. Yoni Bitton et M. Bendavid, rabbin et h’azan émérite de Nantes, où l’on eut également un aperçu de la maitrise de la liturgie et de la cantilation de la Torah de nos chefs d’institutions, Haïm Korsia et Joël Mergui, qui répondirent spontanément à l’invitation de lire Torah et Haftara au pied levé.

L’office de Chah’rit fut clôturé par le Dvar-Torah très attendu du grand-rabbin de Paris, rav Michel Gugenheim. A partir de la sidra Terouma (chapitre 26 de Chemot) et s’appuyant sur un commentaire du célèbre rabbin allemand, Shimshon Raphaël Hirsch, il fit un rapprochement inédit entre les planches de chittim (cèdre) qui composaient la palissade du sanctuaire du désert et les vertus propres à la figure exemplaire du dirigeant communautaire. De même que les planches de bois de la palissade étaient fixées debout, depuis leurs socles (adanim) jusqu’à leur sommet, dans le sens de la pousse des arbres, de la même façon un responsable de communauté doit se dresser et se montrer garant de la préservation des racines du peuple juif. Par ailleurs, les tenons (yadot) qui relient les planches aux socles étaient au nombre de deux, en référence à la double culture, requise par le Traité des Pères (Tora im dérekh Erets), permettant d’établir une synthèse féconde entre la Torah et la culture du pays où nous vivons, et enfin les barres horizontales coulissantes (bérih’im) qui préservent la contention de tout le bloc de palissade,  sont  le modèle de l’unité communautaire dont le leader doit être le garant.

La 5ème séance du week-end, après l’office du matin, fut l’occasion de donner la parole à un invité de marque en la personne de M. Steve Suissa, producteur de théâtre et en charge de la nouvelle émission télévisuelle Bereshit sur France 2. Ce dernier exposa aux présents un parcours personnel particulièrement atypique, depuis son enfance dans l’ombre tutélaire d’un grand-père charismatique (le chevillard Berbèche) jusqu’à la consécration artistique obtenue en réalisant des mises en scène prestigieuses, notamment dans le cadre du « Festival de théâtre français en Israël » qu’il a lui-même conçu et réalisé. Il évoqua plus largement sa conception de la culture en général, et la culture juive en particulier dont il donne à voir des aspects saisissants et originaux dans le cadre de son émission du dimanche matin sur France 2 qui succède au monument télévisuel et éducatif que fut la Source de vie du célèbre et regretté grand rabbin Josy Eisenberg z.l. Au vu des applaudissements et des questions qui lui furent adressées on put mesurer le caractère communicatif de l’enthousiasme et de la forte émotion qui suintèrent de chacun des mots de l’exposé de Steve Suissa.

Le déjeuner du samedi midi fut l’occasion d’une 6ème séquence riche en intervenants divers, à commencer par le grand rabbin de France, M. Haïm Korsia, qui, comme cela est de coutume à chaque repas, gratifia l’assistance d’un Dvar-Torah inspiré également de la paracha Terouma (chapitre 25 de Chemot). En interrogeant la forme passive d’un verbe du verset 31 : « …d’un bloc se fera le candélabre… », et en lui juxtaposant le verset 40 qui évoque l’ordre de D-ieu à MoÏse : « …tel que cela t’a été montré dans la montagne… » il en tira l’argument que c’est justement parce que Moïse a eu préalablement la vision de la Ménora (candélabre) révélée par D-ieu sur le mont Sinaï, que celle-ci a pu s’édifier « par elle-même » (« se fera le candélabre » et non pas « tu feras »). La facilité de fabrication de la Ménora qui « se fait d’elle-même » est révélatrice de l’aisance, de l’efficience et de la faisabilité des réalisations humaines qui s’appuient sur une vision d’ensemble préalable des objectifs que l’on se fixe. Ainsi un dirigeant communautaire ne doit pas se laisser effrayer par la difficulté de la tâche à accomplir. Il lui suffit d’avoir une idée préconçue, claire et inspirée « au nom du Ciel », de la mission à remplir pour garder pleinement confiance et parvenir à la réaliser.

Le président Mergui rendit ensuite un hommage appuyé à M. Daniel Benhaïm, directeur sortant de l’Agence Juive Pour Israël pour son action émérite en faveur de l’Aliya de France en parfaite harmonie avec les institutions juives. Très ému par ces mots de reconnaissance, M. Benhaïm prit ensuite la parole pour remercier le président du Consistoire et présenter ensuite son successeur, M. Ouriel Gotlieb, qui sans doute pour marquer sa conception de la fonction à la tête de cette institution, fit une brève étude talmudique sur la notion de « tokho ké-varo » (extériorité d’un individu conforme à son intériorité) en s’appuyant sur la guémara Bérakhot (27) qui évoque la divergence d’opinion entre deux grands maîtres du Talmud, Rabbi Yehoshua et Rabban Gamliel, le premier donnant la primauté à la réalité de l’action (c’est-à-dire laissant entrer dans la maison d’étude les élèves accomplis et ayant fait la preuve de leur authenticité : apparence conforme à l’intériorité), et le second accordant la priorité à la pureté de l’intention (ouvrir l’étude à ceux qui n’ont pas encore fait la preuve de leur mise en pratique des mitsvoth). Allusion peut-être à une conception plus large et plus « généreuse » de l’accès à l’alya !?

La parole fut donnée ensuite M. Gaël Grunwald, président du département OSM des ichouvim en Israël sur le thème : « les 4 tribus d’Israël » (orthodoxes, sionistes religieux, non religieux, arabes). Sur la base d’une comparaison statistique entre la composition sociologique d’une classe d’âge scolaire du CP en 1990 et une autre en 2018, il établit par exemple, chiffres à l’appui, que la part des effectifs d’élèves religieux orthodoxes était montée en 28 ans de 9 à 22 %, tandis que dans la même période la part du public non religieux est descendue de 52% à 38%. Chiffres qui en disent long sur la mutation sociologique que représente cette formidable poussée de la frange religieuse de la population israélienne au détriment de la couche « laïque ».

On invita ensuite M. Raymond Arrouch, président du Centre Edmond Fleg de Marseille, à prendre la parole pour présenter son centre ainsi que sa conception de la programmation culturelle.

Passage obligé des samedis soirs du séminaire, le 7ème temps fort fut la réception organisée par les responsables du Consistoire de Marseille sur le thème : « Démocratie et Citoyenneté : la place de la communauté juive dans le débat national », en présence de hautes personnalités de la région : M. Pierre Dartout, Préfet de la Région Provence-Alpes-Côte-D’azur, Mme Martine Vassal, Présidente du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, Madame Valérie Boyer, députée, et M. Daniel Sperling, représentant du Maire de Marseille et membre éminent de la communauté juive locale.

La soirée, ordonnancée tout du long par M. Marc Meimoun, en Monsieur Loyal, fut introduite par M. Michel Cohen Tenoudji, président du Consistoire de Marseille, qui prit soin de présenter une à une toutes les personnalités officielles avant d’évoquer les inquiétudes du moment au sein de la communauté juive face aux dérives antisémites et antisionistes constatées en marge des mouvements sociaux des derniers mois. En référence au thème du débat, il tint à rappeler les homélies prononcées par nos grands rabbins pendant le chabbat, dont la poignante « prière pour la République française », qui toutes contenaient des allusions plus ou moins directes au respect requis par notre tradition envers les valeurs fondatrices de la Nation. A cet égard il rappela l’adage talmudique selon lequel « la civilité (dérekh-erets) est antérieure à la Torah », ce qui induit l’impératif d’un code moral universel « non-dit » qui, en étant axé sur le respect d’autrui, transcende les religions et appartenances particulières

Faisant clairement allusion à la crise actuelle qui secoue la France, et la multiplication des actes racistes, antisémites et homophobes, qui l’ont émaillée, M. Daniel Sperling fit un tour d’horizon des risques engendrés par la montée des extrêmes et des populismes à travers le monde, dénonçant « un vent mauvais » qui heurte de plein fouet les valeurs humanistes et républicaines. Citant Jean Monnet, l’un des concepteurs de l’idée européenne il souligna avec force que « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité, et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». Or, dit-il, la première des nécessités face à la crise est de nous mobiliser plus que jamais pour préserver et renforcer le lien social et nos valeurs, défendre l’attachement à la démocratie, la lutte contre le terrorisme, la solidarité, l’amour et le respect de la vie. Et surtout de rappeler le propos du président Macron : « ne rien céder à l’antisionisme qui est une forme réinventée de l’antisémitisme ».

La parole fut ensuite donnée à Mme Martine Vassal, présidente du Conseil départemental, qui rappela ses liens étroits et anciens avec la communauté juive dont elle tint à souligner le rôle majeur dans la vie de la cité phocéenne, mais aussi dans toute la Provence, occasion pour elle de paraphraser sous les applaudissements de la salle une citation devenue célèbre : « sans les Juifs, la Provence ne serait pas la Provence ». Elle rappela également son attachement au modèle démocratique d’Israël qu’elle connaît bien et où elle compte effectuer une nouvelle visite avant l’été prochain. Aujourd’hui la France et l’Europe vivent des heures sombres : dérèglements climatiques, montée de l’intégrisme islamique, incapacité de juguler les flux migratoires. Ce fameux « modèle français » et son système représentatif sont épuisés et ont montré leurs limites, d’où le risque du populisme auquel ont déjà cédé certains pays comme l’Italie, la Pologne, … Elle déplora la résurgence du racisme et de l’antisémitisme, menaces redoutables pour la république tout entière qui a le devoir de protéger l’ensemble de ses enfants. La France ne serait pas elle-même si elle ne luttait pas contre ce fléau, si nos concitoyens juifs devaient vivre dans la peur, si chacun d’entre nous ne pouvait plus vivre librement selon ses convictions. Elle dit sa fierté d’avoir emmené ces dernières années plus de 11 000 enfants de classe de 3ème au Camps des Milles pour leur montrer comment ces atrocités ont pu se produire. Citant Simone Veil, « Je considère comme un devoir d’expliquer inlassablement aux jeunes générations comment sont morts 6 millions d’hommes et de femmes, dont 1,5 millions d’enfants ». Vous me trouverez toujours à vos côtés pour défendre ces valeurs de liberté, de fraternité, d’égalité.

Dans le prolongement des précédentes allocutions, le grand rabbin de France, Haïm Korsia, souligna la nécessité de prendre conscience à quel point le judaïsme est consubstantiel à la société française, raison pour laquelle Napoléon, dans son acte de fondation du Consistoire, a inscrit d’emblée la judaïcité dans la nation française. Illustrant son propos par un conte allégorique axé sur le concept cabalistique du Tikoun (réparation), il martela le fait que le judaïsme a des choses à dire sur les grands problèmes de la société d’aujourd’hui. Extraits pris sur le vif mêlant humour et doctrine « sur la question de l’environnement, le judaïsme a quelque 5779 années d’avance. Quand les écologistes réclament une journée sans voiture, nous avons pas mal de longueurs d’avance avec nos 54 samedis chômés. Quant aux rassemblements du samedi des gilets jaunes, rassurez-vous M. le Préfet, les Juifs n’iront jamais manifester sur les ronds-points, ils sont ce jour-là dans les synagogues. Sur le bien-être animal, on n’est pas en reste, on n’a pas attendu l’installation de caméras dans les abattoirs pour se soucier de cette question, puisque pour nous une bête qui souffre n’est pas cacher ». Sur le problème de la bio-éthique, le judaïsme a toujours porté un regard global et extrêmement exigeant sur la société, la filiation, la famille. Idem pour les problématiques liées aux migrations : en édictant l’impératif « tu aimeras l’étranger car tu as été étranger en terre d’Egypte », la Torah nous fixe un cadre éthique particulièrement contraignant en matière d’hospitalité et d’accueil de l’autre, aussi lointain et exotique soit-il.

En prévision de l’allocution de clôture du préfet de région, le président Joël Mergui se proposa de dresser une première synthèse des problématiques mises à l’ordre du jour de ce séminaire. Toutefois il commença par rappeler que ces trois jours passés à Marseille en présence de plus d’une centaine de dirigeants communautaires venus de tout le pays firent de cette communauté, l’espace d’un long week-end, le centre du judaïsme français. C’est pourquoi il tint à renouveler au Consistoire de Marseille, à son président et à toute son équipe l’hommage qui leur revient pour la chaleur et la qualité de leur accueil. « Puisque c’est la première fois que ce séminaire sort des limites de la région parisienne, et que le succès est au rendez-vous, pourquoi ne pas encourager une nouvelle candidature en vue de l’édition 2020 !  Se tournant vers le préfet Pierre Dartout, il se fit un devoir de rappeler ce que fut son rôle, bienveillant, et compatissant, dans le cadre de ses précédentes fonctions, lors de l’attentat de Toulouse. Evoquant le phénomène de l’Alya, qui a profondément bouleversé la physionomie du judaïsme français, il jugea nécessaire de rappeler un certain nombre de faits d’apparence anecdotique, mais ô combien significatifs et bien plus éloquents que de grands discours. Ainsi il rappela le tollé suscité par les déclarations du premier ministre israélien qui, à la suite des attentats terroristes, invita les Juifs de France à faire leur Alya, en contraste absolu avec les propos affectueux et empathiques de politiciens français qui valorisaient la présence juive dans l’Hexagone. « Je préfère, dit-il, une période où on s’arrache les Juifs, plutôt qu’une période où on ne les veut nulle part ».

Notre responsabilité de chefs d’institutions, avec nos présidents et nos rabbins, est de dire avec force à nos coreligionnaires que nous faisons tout pour défendre la vie juive et préparer l’avenir dans ce pays. En songeant d’une part à nos multiples initiatives destinées à soutenir l’Alya et l’intégration de ceux qui ont fait le choix d’Israël, et en ayant d’autre part à l’esprit des projets comme le Centre Européen du Judaïsme, qui incarnent l’innovation et la projection dans l’avenir, on peut dire que d’un côté on accompagne ceux qui partent dans leur mouvement d’émigration, et d’un autre côté, on assure le présent et on bâtit le futur pour ceux qui restent, car, qui peut ignorer que, bien qu’amputés d’une fraction de nos forces vives, la vie juive continue : la grande majorité de nos structures juives fonctionnent à plein régime, les évènements communautaires ou familiaux pullulent, le travail éducatif se poursuit, la créativité culturelle et les projets associatifs continuent de se développer.

Quant à la crise actuelle qui menace jusqu’aux principes du modèle démocratique, il n’est pas étonnant ni innocent, selon Joël Mergui, de voir resurgir le vieux fléau de l’antisémitisme qui, traditionnellement, prospère sur le terreau de la violence, de la haine et du populisme le plus débridé.

Par ailleurs, c’est dans l’esprit du débat national que nous avons également inscrit la problématique de la Loi de 1905 au programme des ateliers du dimanche matin. Est-il nécessaire de rappeler qu’on a toujours soutenu sans faille et respecté les règles de la laïcité, et que notre judaïsme n’a jamais, à D-ieu ne plaise, fait obstacle à l’expression de notre citoyenneté. Aussi on ne voudrait pas que des modifications, résultant du développement de l’islam, puissent remettre en question la pratique du judaïsme.

C’est pourquoi j’appelle tout le leadership du judaïsme français, qui depuis toujours se démène corps et âme, à continuer à faire ce travail sublime et profond qui permet de répondre aux besoins de nos fidèles et de maintenir ainsi envers et contre tout la flamme du judaïsme.

La conclusion fut réservée à M. le Préfet de région Pierre Dartout qui réaffirma sa proximité avec la communauté juive car, dit-il, « dans votre religion on prie pour la République et on lui rend hommage. Les Juifs de France sont intimement liés à la République, chaque fois qu’ils ont été menacés, c’est la République tout entière qui a été touchée dans ses fondements, comme cela a été démontré à travers la tragédie de Vichy. En réponse aux inquiétudes formulées par ses prédécesseurs à la tribune, il pointa les sujets de préoccupation tels que le complotisme (dont le summum fut atteint il y a quelques années avec la rediffusion du fameux Protocole des Sages de Sion), le récent développement des actes d’antisémitisme, phénomène que l’on imaginait définitivement condamné et enterré à la fin de la seconde guerre mondiale, mais aussi le terrorisme qui est l’un des défis les plus graves qu’on a dû combattre depuis la fin de la guerre. Evoquant les alertes sur la possibilité de départs passifs de Juifs de France, il reprit le propos célèbre de Manuel Vals : « que serait la France si les Juifs la quittaient. « Il serait dramatique que ce phénomène s’amplifie. La France a besoin de cette communauté parfaitement intégrée qui développe beaucoup de talents et d’excellence. Et puisque dans l’esprit de la culture juive, il y a ce devoir d’optimisme, alors il nous faut être confiants. Confiance aussi dans l’Europe qui est un facteur de paix et de cohésion. On a vraiment besoin de vous, la République a besoin de vous, votre place dans ce pays est éminente et doit le rester ».

La 8ème séquence du séminaire consacrée aux ateliers fut sans conteste la plus « laborieuse » car tournée entièrement vers l’action, les informations pratiques et les projets communautaires.

4 projets communautaires furent à l’ordre du jour de cette matinée :


1)     Séminaire des jeunes du 5-7 avril 2019 à Roissy

Pour une relève du leadership communautaire

Il s’agit d’organiser un week-end national Jeunes Adultes sur le modèle du Séminaire des dirigeants, appelé à se renouveler chaque année, mais spécialement conçu dans le but de : Former, Informer, Sensibiliser, Rassembler, Structurer et surtout Motiver des candidats aux responsabilités associatives.

2)     Enquête sur l’état des lieux et des besoins communautaires

Après l’enquête sur le « Leadership communautaire » dont les résultats ont été présentés au cours du séminaire 2014, l’« Enquête sur les besoins communautaires » constitue le 2ème volet d’une grande étude nationale sur les structures du Judaïsme organisé en s’attachant à identifier le patrimoine immobilier et les besoins en termes de préservation de l’existant, de développement d’activités et de recherche de moyens.

3)     Le consistoire à l’heure du numérique

En 2019, mise en place d’un nouveau site internet avec des fonctionnalités novatrices

Un véritable espace pour chaque Consistoire et pour chaque communauté

La mise en place de paiements en ligne directs avec reçus Cerfa

La prise de RDV en ligne

Un outil de recherche puissant

La relance des promesses de dons automatiques

Le E-learning (talmud-thora en ligne)

Le suivi des visites des machguih’him klalim avec un système dédié

La CRM (gestion de la relation aux fidèles)

Les réseaux sociaux

Le nouveau service téléphonique « Un rabbin vous répond »

Les cours hebdomadaires de nos rabbins en vidéo


4)     Dynamique d’échanges et de coopération paris-province

Sur le modèle du travail de la Hazac, diffusion d’une liste de communautés de province, isolées et à faible potentiel humain dans le but de les soutenir et de les galvaniser tout au long de l’année en y organisant régulièrement des week-ends familiaux avec le soutien de jeunes de la Hazac.


5)     Programmation culturelle

Dans le cadre du programme « Vive notre patrimoine » offrir un catalogue d’activités culturelles (conférences, théâtre, concerts, expositions…) à toutes les communautés qui le souhaitent.

Enfin l’historien du patrimoine juif, M. Emmanuel Attyasse, clôtura les ateliers en exposant tout d’abord le projet de réforme de la Loi de 1905 qui, selon lui, ne devrait pas modifier fondamentalement la législation actuelle hormis quelques remaniement à la marge rendus nécessaires par la montée en puissance d’une « nouvelle communauté religieuse », pour reprendre son expression.

Il dressa ensuite un panorama très intéressant des différents statuts réglementaires des édifices juifs à travers toute la France, en soulignant bien la différence entre « inscription à l’inventaire », qui permet un certain nombre de mesures de sauvegarde d’une ampleur limitée, et « classement aux monuments historiques », ce dernier statut étant extrêmement difficile à obtenir car il entraîne la mutation de l’édifice sous le contrôle absolu de l’Etat qui devient le seul et unique opérateur en matière de travaux de réparation et de restauration, mais qui présente l’énorme avantage de sauver l’édifice de tout risque de destruction et de dégradation du bâtis et de son environnement.

Il donna en exemples, avec projection de photos sur écran, un certain nombre de synagogues situées dans des villes et villages désertés par les Juifs, certaines étant relativement préservées et parfois transformées en musées ou attractions touristiques, et d’autres, malheureusement, carrément désacralisées et vouées à certains commerces ou entreposages municipaux.

9ème et dernier tableau du séminaire : comme à l’accoutumée, le déjeuner de clôture fut l’occasion de donner la parole à quelques acteurs et penseurs de renom, cette fois-ci le chercheur du CNRS et directeur du Camps des Milles, M. Alain Chouraqui, et le journaliste et essayiste, M. Franz-Olivier Giesbert, venu tout spécialement de Paris pour exprimer son soutien à la communauté juive dans un contexte agité.

M. Alain Chouraqui s’attacha à présenter le Mémorial du Camp des Milles, camp d’internement et de déportation vers les camps de la mort, le seul en France conservé en parfait état. Il insista sur le fait que le but des conservateurs de ce camps ne se limite pas à conserver des murs et maintenir la mémoire d’un drame, mais surtout à s’interroger sur les mécanismes qui ont conduit à cette tragédie. « La shoah est comme un soleil noir qui éclaire le présent et nous dit comment fonctionne ce présent ». Ses leçons nous renseignent sur ce qui s’est passé auparavant en Arménie, et se passera plus tard au Rwanda, au Cambodge… La Shoah nous enseigne comment l’humain fonctionne. « Quand on fait ce travail de convergence des mémoires, on s’aperçoit à quel point ce que nous dit la Shoah peut nous renseigner sur le présent ».

M. Chouraqui distribua aux présents un « Petit manuel de survie démocratique », édité par le mémorial du Camp des Milles, qui résume ce que l’on peut tirer comme leçon de l’expérience tragique de la Shoah et des autres génocides. « C’est en 3 étapes, à partir de l’intolérance ordinaire, qu’on arrive aux crimes de masse. Plus on avance dans le processus plus la résistance est difficile et moins elle est efficace ».

En analysant tous les processus de destruction de masse, lui et son équipe ont défini un certain nombre de critères qui permettent de reconnaître le moment où l’on est dans l’évolution historique :

1ère étape : perte de repères, institutions attaquées et ébranlée, rejet des élites, crise hors de contrôle, désordres, agressions, pouvoirs impuissants. La 2ème étape est le moment charnière du basculement, où il est pratiquement trop tard. A la 3ème étape tout est terminé

Selon lui, « la 1ère étape ressemble étrangement à celle que nous vivons aujourd’hui en France, alors utilisons notre expérience pour organiser la résistance. Mais ne nous laissons pas affoler, car nous avons évidemment connu des situations bien plus graves, d’autant qu’on a avec nous les forces de l’ordre, les pouvoirs publics… »

En un mot comme en cent, c’est maintenant, nous dit-il, que doit nous servir le souvenir de ceux qui sont partis !

Avant de donner la parole à M. Franz Olivier Giesbert, le président du Consistoire tint à lui rendre un hommage ferventpour ses prises de position courageuses en faveur des Juifs et d’Israël.

Dans la suite des parallèles historiques formulés par Alain Chouraqui, F.O. Giesbert souligna qu’à la montée du nazisme les Juifs n’ont jamais bougé. Lors de la publication de Mein Kampf, personne, à part un seul individu isolé, ne va effectuer la moindre recension des menaces contenues dans le livre.

Aujourd’hui l’antisémitisme d’extrême droite, à l’exception du cas Alain Soral, évite de s’afficher tant que le contexte ne s’y prête pas, tandis que l’antisémitisme d’extrême gauche, surtout sa version islamo-gauchiste, est nettement moins complexé et se déverse sous couvert d’idéologie dans de nombreux médias et réseaux sociaux. Cependant si on compare les époques, il ne fait aucun doute que la situation a largement évolué dans un sens positif.

Contrairement à ce qu’on ne cesse de claironner, Hitler n’est pas parvenu au pouvoir par des moyens démocratiques mais par des « coups de chance » (ex. mort soudaine du Président Von Hindenburg), et par des coups d’état. La grande majorité des allemands d’avant-guerre n’a pas bougé à l’encontre des Juifs, ce qui rendait furieux Hitler et ses comparses. Ceci démontre que, contrairement à ce que certains laissent penser, on ne peut pas manipuler les masses à sa guise et leur faire faire ce que l’on veut.

Il est vrai que la France actuellement ressemble à un « canard sans tête », violences hors de contrôle, pouvoir déstabilisé, agressions contre les hauts personnages de l’Etat, etc., mais la situation n’est bien sûr aucunement comparable à ce qu’elle a été à certaines époques où sévissaient des mouvements politiques fascisants extrêmement puissants, des discours publics d’une haine incroyable, une presse hystérique, et des appareils d’Etat infiltrés par des militants et des idéologues, etc.

Il ne fait pas de doute que le sort des Juifs est associé à celui de la démocratie. Donc il faut se battre !

En conclusion de ce débat, le président Mergui jugea utile de rappeler que ce qui a radicalement modifié la donne depuis les heures sombres des persécutions antijuives, c’est que maintenant Israël existe, qu’il n’a jamais été aussi fort, et que donc plus rien ne sera comme avant.

Il demanda ensuite à l’assemblée d’observer une minute de silence en mémoire du drame qui venait de se dérouler en Israël, le viol et l’assassinat barbare de la jeune Ori Ansbacher par un palestinien.

Invité à dire un dernier mot par Joël Mergui, le président Cohen Tenoudji salua les participants et exprima le regret de les voir repartir après un week-end aussi agréable et enrichissant. Il eut cette conclusion judicieuse pour aider ses collègues à évaluer l’effet que pouvait avoir sur eux un tel séminaire : « un élève posa la question à son maître : comment savoir si ma prière est exaucée ? Il lui fut répondu : c’est simple, elle est exaucée si tu finis ta prière en te sentant différent de ce que tu étais en la commençant ».

Et Joël Mergui de rajouter : « l’objet essentiel de ce séminaire était de se retrouver, d’échanger, de renforcer la cohésion et l’unité de notre institution. Vous êtes les acteurs incontournables de la communauté juive, soyez des bâtisseurs, ne renoncez à rien ». Formule reprise en chœur et paraphrasée par Franz-Olivier Giesbert : « oui, restez groupés et ne lâchez jamais l’affaire.