Pourim 2020 ou l’écho d’un cri perpétuel

Le Livre d’Esther, qui relate l’histoire de Pourim, nous rapporte que la première réaction de « Mordekhaï le Juif » à l’annonce du projet d’anéantissement de son peuple décidé par Haman, le redoutable vizir du roi Assuérus, fut de pousser un « cri long et amer ». Tellement long, tellement amer qu’il a traversé le temps et l’espace et qu’il résonne encore aujourd’hui à l’échelle mondiale.

La réunion de 47 chefs d’Etat à Jérusalem, le 23 janvier dernier, pour commémorer le 75ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz est bien la preuve édifiante que le cri de Mordekhaï face à la haine antijuive résonne toujours à nos oreilles et qu’il commence à être entendu…. Mais hélas avec plus de 2500 ans de retard et après l’extermination d’un tiers du peuple juif par l’entreprise nazie.

Comme le disait le philosophe Nietzsche, « l’Etat est le plus froid des monstres froids », et la somme des Etats constitue un empire de glace galactique qui a besoin de plusieurs milliers d’années pour reconnaître et nommer l’abomination de l’antisémitisme multimillénaire et universel et « promettre » d’en tirer ENFIN les conséquences. Pendant cette histoire interminable rythmée par les croisades, les razzias, les pogromes et, apothéose suprême, l’industrie meurtrière nazie, l’antijudaïsme comptait parmi les présupposés les mieux partagés par une grande partie du monde dit civilisé, rendant possibles toutes les alliances et connivences grégaires, depuis la populace en quête de défoulement contre un bouc émissaire désigné de toute éternité, jusqu’aux élites de la bonne société où il était souvent de bon ton d’afficher la « coquetterie » d’un antisémitisme filial ou clanique.

Mais pour l’heure ne boudons pas notre plaisir au souvenir tout frais de cette gouvernance mondiale réunie à Jérusalem pour communier autour d’un mot d’ordre unitaire : « plus jamais ça ! », dont l’équivalent biblique pourrait être rendu par le double impératif : « Zakhor (souviens toi) … lo tichkah’ (n’oublie pas). Nos maîtres commentent : « Souviens toi : par ta bouche, n’oublie pas : ne l’éloigne jamais de ton cœur ».

Et quel symbole puissant de voir cette réunion internationale au sommet, la plus importante depuis la renaissance d’Israël, se tenir à Jérusalem, capitale d’Israël et du peuple juif ! Et quelle consécration pour notre combat ancestral contre le Mal absolu que d’obtenir enfin que le devoir de mémoire et la lutte contre toutes les formes de haine antijuive soient érigés comme impératif universel pour que « plus jamais ça ! ».

En attaquant nos ancêtres au tout début de leur libération de l’esclavage d’Egypte, Amalek a inauguré le cycle historique de la haine d’Israël dont il incarne à tout jamais la figure emblématique. Rachi nous enseigne que cette haine d’Amalek s’est focalisée sur la brith-mila (circoncision) dont notre ennemi héréditaire a fait un objet de moquerie et de défi envers D-ieu. Son descendant Haman, de son côté, justifie clairement sa requête génocidaire auprès de son roi par le particularisme insupportable du peuple juif : « Il est un peuple dispersé, séparé d’entre les peuples dans tous les états de ton royaume et leurs usages (« dath ») diffèrent de tout peuple, et les usages (« dath ») du roi ils ne pratiquent pas, ainsi le roi n’a aucun intérêt à les laisser (vivre) / Meguilat-Esther III,8».

Contre toute attente, des milliers d’années après Amalek et Haman, à une époque qu’on croyait résolument « moderne », certaines nations « développées » remettent soudainement en cause les mêmes piliers du judaïsme que ceux qui étaient pointés du doigt par les ennemis de l’Israël biblique, comme la circoncision et la cacherout, mais avec un langage et des argumentaires tellement plus subtiles et des références « humanistes » d’une civilisation avancée : le respect des droits de l’enfant, le bien-être animal…

Nous n’avons aucune raison de ne pas croire en la sincérité des gouvernements qui jurent qu’Auschwitz ne se reproduira jamais. Mais qu’en est-il des vieilles querelles mutantes qui se présentent à visage couvert, sous de nouveaux oripeaux et avec un langage de démocratie avancée ? Comment se fait-il que 75 ans après Auschwitz, dont les motivations étaient clairement annoncées dans le pamphlet-programme d’Hitler publié plus de 15 ans avant sa mise en oeuvre, certains pays et mouvements de libération nationale déclarent à l’envi et depuis des décennies leur volonté de détruire l’Etat juif sans qu’aucune instance nationale ou internationale ne cherche à les dénoncer, et encore moins à les en empêcher.

L’antijudaïsme d’Etat n’étant plus de mise dans la plupart des nations, ses résurgences doivent se frayer de nouveaux chemins, parfois époustouflants d’audace et d’originalité. Autrefois arbitraire et barbare, l’antijudaïsme contemporain emprunte de plus en plus le visage auguste de l’humanisme le plus éthéré et de la bien-pensance la plus politiquement correcte.

Par quelque bout qu’on prenne ce problème aussi vieux que le monde qu’est l’antisémitisme, on en reviendra toujours au même point nodal de sa causalité : ce n’est pas la personne du Juif avec tous ses attributs démoniaques fantasmés qui est honnie, mais ce qu’il représente foncièrement dans l’inconscient des nations : l’Alliance et la Loi, paradigmes insupportables pour tous ceux qui ont à cœur de se libérer du carcan des valeurs et du droit. Amalek et Haman l’avaient compris avant tout le monde.

Si l’appel du Zakhor de la Torah nous présente la haine du Juif, hélas, comme une constante de l’histoire des hommes, il constitue aussi, en contrepoint, la garantie divine de la permanence du peuple juif, puisque, par définition, un impératif de mémoire s’inscrit dans la longue durée.

Et l’espoir nous vient tant des hommes, tous ces amis non-Juifs qui nous tendent fraternellement la main pour soutenir nos combats, que de D-ieu Lui-Même qui s’engage solennellement à faire triompher définitivement les forces du Bien sur celles du Mal : « car j’effacerai totalement le souvenir d’Amalek de dessous les cieux » (Exode XVII,14)

Joël Mergui