Nos synagogues, ambassades du Judaïsme et de la démocratie

Au nom de la liberté d’opinion, cette année, des manifestants ont défilé en France, menacé des synagogues et brulé des commerces juifs comme des symboles de la puissance publique aux cris de : « Israël assassin » ; « Hitler avait raison » ; « nous sommes tous des Mohamed Merah. » Dans les cortèges ont flotté les drapeaux d’organisations terroristes, des imitations de roquettes voire de vrais fusils d’assaut.

Cette haine publique si peu républicaine n’a pourtant pas rebuté certains élus, chef de parti politique, ou ancien ministre qui ont participé ou légitimé ces manifestations prétendument pour la paix. Une paix et une indignation bien sélectives qui oublient les milliers d’enfants musulmans, chrétiens ou Yézidis assassinés dans le monde parce qu’il est impossible d’imputer ces tragédies à Israël !

Stigmatiser les Juifs est depuis toujours le premier pas vers leur exclusion voire leur élimination, lorsque l’essentiel du message se résume, comme cet été, au mot d’ordre : « mort aux juifs ! »

La somme des remises en question de l’exercice de notre culte d’un côté et des actes de violence anti-juifs de l’autre ne manque pas de nous interroger sur la bonne santé de notre société et la vitalité des valeurs républicaines. Pour qui sait l’interpréter, l’histoire enseigne que le sort des juifs est toujours le reflet d’un contexte national. Thermomètre des poussées de fièvres ou baromètre des tourmentes, l’acceptation – ou le rejet -, des juifs signale toujours la capacité de tolérance et de vivre-ensemble d’une société.

Dès lors que la majorité n’accepte plus l’existence d’une petite minorité historique, le lien social de solidarité entre tous les citoyens est rompu. Est-ce ce à quoi nous assistons en France et en Europe ? La France est-elle certaine de demeurer la France éternelle ? Celle des Droits de l’Homme sans concession ? Nos démocraties occidentales resteront-elles le refuge des vrais démocrates, ceux qui – sans courber l’échine ni se tromper d’ennemis – portent les valeurs de fraternité sans faiblesse, de liberté sans domination, d’égalité sans soumission ?

100 ans après la Grande Guerre, les nations ennemies hier ont montré qu’elles étaient aujourd’hui capables d’union internationale et ont défilé ensemble le 14 Juillet, preuve que les pires démons extrémistes et nationalistes peuvent être surmontés.

Pourtant, 70 ans après le débarquement allié sur les plages de Normandie, il y a urgence. L’Occident universaliste doit faire face à une nouvelle menace qui met à nouveau en péril ses valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité des peuples et des individus, que le nazisme avait rêvé de détruire.

Hier le nazisme était le fléau de l’Europe, aujourd’hui le djihadisme s’annonce comme la prochaine calamité à l’échelle mondiale avec, pour point commun, le projet de solution finale des Juifs certes, mais aussi la fin du monde libre.

Contre le djihadisme qui instrumentalise la foi comme instrument politique d’un nouvel impérialisme, il y a véritablement urgence. Urgence de prendre conscience du danger réel et de s’unir. Ce qui menace les Juifs en ce moment partout dans le monde – et cible la seule démocratie du Moyen-Orient -, menacera demain toutes les démocraties. Le monde en est-il seulement assez conscient ?

Israël est l’État juif, de tous les juifs : des survivants, des athées, des croyants, des juifs qui refusent d’être juifs et même le pays des non-juifs qui n’ont rien contre les juifs. Alors oui, les juifs français aiment Israël comme ils aiment le berceau de leur foi, la terre de leurs aïeux, la patrie de leurs frères et de leur famille. Les juifs français aiment Israël parce qu’Israël est une France en terre d’Orient, la seule démocratie véritable dans cette région du monde. Là-bas comme partout dans le monde, aucune synagogue n’est le lieu d’appels à la haine, à la violence, à détruire des mosquées, des églises, des peuples, ni à renverser des gouvernements. Nous avons des valeurs. Nous avons le culte de la vie, l’amour de la paix.

C’est pourquoi, comme le Grand Rabbin de France, le Grand Rabbin de Paris et moi-même ne cessons de le rappeler, face à la haine, nous avons toujours la responsabilité d’être encore plus solidaires. Nous avons toujours mangé casher par conviction, nous avons toujours été à la synagogue pour prier. Soyons plus nombreux encore à le faire, pour que désormais nos actes, nos choix, nos prières prennent aussi le sens d’un engagement militant contre ceux qui, en terre républicaine, veulent – au minimum – notre exclusion.

Nos valeurs sont belles, sincères, altruistes, elles ont l’éternité de l’universel qui vaut pour tous les hommes. Chaque juif est un ambassadeur de vie, de paix et de valeurs qui participent au vivre-ensemble. Nous sommes tous les gardiens de nos frères et plus que jamais les veilleurs de la démocratie.

Continuons de faire de nos synagogues les ambassades des valeurs du Judaïsme et de la démocratie, parce que les seuls pays où vivent aujourd’hui des communautés juives sont les démocraties. Ailleurs, il n’y a plus de juifs, comme il n’y aura bientôt plus de diversité religieuse, politique, sociale ou ethnique. C’est un signe qui fait sens et qui mériterait d’être interprété dans toute son inquiétante simplicité.

S’il est de mon devoir de démocrate, de soutenir la démocratie et de français, de défendre la France, il est aussi de ma responsabilité de juif et de président du Consistoire d’attendre aujourd’hui de cette même démocratie qu’elle accorde à une minorité menacée davantage qu’une obligation de moyens, une réelle obligation de résultats. Toutes les forces de police ne suffiront pas à assurer notre sécurité si aucun moyen adapté n’est dédié à s’attaquer à la racine du mal, sous toutes ses formes, pour l’empêcher de se diffuser et de corrompre les valeurs du vivre-ensemble et de la République. Aucun discours contre l’antisémitisme ne sera assez puissant si subsistent, parallèlement, les messages pernicieux de rejet, de haine ou de critiques radicales contre les Juifs, le Judaïsme et Israël. Seule la diminution du nombre d’actes antisémites sera, à mes yeux, significative des moyens et de la volonté engagés. Il ne s’agit pas d’enrayer une hausse de l’antisémitisme mais d’en diminuer drastiquement les manifestations et les effets. A défaut, je saurais appeler à tirer les conclusions qui s’imposent d’une société qui ne voudrait plus de nous comme citoyens juifs à part entière.

Pour nos communautés françaises pleines de vitalité, quel que soit le nombre des départs, faisons « plus avec moins ». Faisons mieux avec moins, pour les synagogues, pour nos institutions, pour le Judaïsme français. L’enthousiasme n’a pas besoin du nombre pour exister, il lui suffit du dynamisme de l’espoir. Les juifs ne sont pas nombreux dans le monde ni même en France – la première communauté juive d’Europe – mais notre nombre n’a jamais été un obstacle à l’adaptation. A nous de savoir nous déployer davantage, de compenser la faiblesse du nombre par la force de l’innovation et la puissance de l’engagement.

Les Juifs sont en Europe depuis 2000 ans. Demain, la France et l’Union européenne seront-elles toujours en mesure de laisser s’exprimer notre identité ? Feront-elles tout pour assurer notre présence effective ? Seront-elles capables de garantir notre sécurité et notre liberté religieuse au même titre que tous nos concitoyens ?

Comprendront-elles que ce qui nous menace les met, elles aussi, en danger ?

Que l’année qui s’annonce soit plus sereine, qu’elle voit nos communautés rayonner davantage, notre jeunesse s’engager sur la voie de nos aînés et qu’elle apporte la paix en Israël et dans le monde, en réponse à nos questions.

Chana Tova à toutes et à tous.

Joël MERGUI, Président du Consistoire