Tribune libre : Simone Veil, la combattante éternelle

Par Philippe Meyer, administrateur du Consistoire de Paris

Un visage clair, un regard profond, un chignon impeccable, une voix douce et ferme à la fois. Madame Simone Veil a incarné comme personne la dignité, le courage, la force, l’éthique, la pudeur, la beauté. Simone Veil, née Jacob, s’est éteinte le 30 juin dernier à l’âge de 89 ans après un destin hors du commun nourri d’une histoire exceptionnelle qui a traversé le siècle.

Les atrocités de la guerre, la Shoah et les six millions de juifs assassinés parce que juifs, l’ont durement meurtri dans sa chair et dans son âme, et façonneront sa vie, ses engagements et ses combats. Combat pour la Mémoire, combat pour les droits des femmes, combat pour l’Europe. Elle y consacrera chaque jour, jusqu’au dernier.

Née le 16 janvier 1927 à Paris, Simone Jacob est arrêtée par la Gestapo et déportée à l’âge de 16 ans, au lendemain de son baccalauréat, avec ses parents et sa famille à Auschwitz-Birkenau, puis à Bergen-Belsen au terme de la sinistre marche de la mort. Rescapée après la libération du camp avec seulement l’une de ses sœurs, elle revient à Paris, s’inscrit à la Faculté de Droit et à l’Institut d’Etudes Politique, y rencontre son mari Antoine Veil et devient magistrate. En 1970, elle devient la première femme à accéder au poste de Secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature. Quelques années plus tard, en 1974, elle devient la première femme ministre de la santé et défendra alors au Parlement, après des débats d’une férocité rare à son encontre, la loi contre l’IVG qui portera son nom. Avec son discours prononcé à la tribune de l’Assemblée Nationale, et qui y résonnera pour longtemps, Simone Veil rentre dans l’histoire. En 1979, elle est élue première Présidente du Parlement européen jusqu’en 1982. Malgré une histoire personnelle et intime si tragique, la réconciliation franco-allemande sera son combat dès 1945 et le restera toute sa vie avec plus largement celui de la construction d’une Europe forte pour la paix. A nouveau ministre en 1993, elle entre au Conseil Constitutionnel en 1998. De 2000 à 2007 elle est la première Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah où elle se battra avec force pour ne rien céder à l’oubli. A partir de 2007, Simone Veil se retire progressivement de la vie politique et publie sa biographie « Une vie », où elle raconte pour la première fois son histoire et celle de sa famille. L’ouvrage est traduit dans une quinzaine de langues.  En 2008, elle est élue à l’Académie française et rentre sous la Couple le 18 mars 2010 devenant alors, après une vie d’une richesse et d’une intensité sans précédent, une immortelle. Elle prononcera ce jour-là un  discours qui restera dans l’histoire, rendant notamment un hommage vibrant et émouvant à ses parents déportés. À la mort de son mari, en avril 2013, avec qui elle aura passé 67 ans de complicité profonde entourés de leurs enfants et petits-enfants qui comptaient tant pour elle, Simone Veil se retire définitivement de la vie publique.

Malgré les tragédies et les blessures indélébiles qui l’ont frappées à jamais et qui ont noirci sa vie, malgré cette douleur sourde qu’elle a toujours portée en elle, Simone Veil a survécu, a témoigné et a tiré les leçons pour bâtir l’avenir, porteuse d’une espérance et d’un futur. Ayant vu ce que l’Homme pouvait faire de pire, elle n’a eu de cesse de vouloir en tirer le meilleur. Simone Veil n’a jamais transigé en rien sur la défense  des valeurs de la République, des valeurs humaines, et des valeurs du judaïsme si profondément ancrées. Dans le texte « Je suis juive » écrit en 2005, Simone Veil avait écrit : «Cela suffit pour que jusqu’à ma mort, ma judéité soit imprescriptible. Le kaddish sera dit sur ma tombe. ».

Autorité morale reconnue bien au-delà de nos frontières, éloignée de toute idéologie, engagée en permanence contre la souffrance et pour la justice, elle a incarné ce que la France défend et porte de plus beau et de plus noble du plus profond de son histoire. Par ses engagements pour la liberté et par ses actions pour la construction d’un monde meilleur, Simone Veil a durablement influencé plusieurs générations de citoyens. Respectée et admirée de tous, elle a été le personnage public le plus populaire des français durant des décennies. Elle n’a cessé, et ne cessera, de susciter la fascination. Simone Veil a été l’honneur et la fierté notre pays et de la communauté juive qui ont perdu un être d’exception comme il en existe peu dans une génération. La cérémonie d’hommage national dans la cour d’honneur des Invalides le 5 juillet, d’une émotion intense, en présence du Chef de l’Etat, de ses prédécesseurs, et de tous les représentants de la République et de nombreux pays européens était bouleversante sous le son de la Marseillaise, de l’Hymne à la joie et du chant des partisans. Un moment fort à la hauteur de la perte irremplaçable de cette géante de notre temps. La France a rendu dans l’union un hommage unanime à celle qui aura marqué près d’un siècle de l’Histoire. Simone Veil faisait partie de notre patrimoine, de notre histoire, de nos familles. L’émotion et la tristesse partagées par tout un pays mettront du temps à se dissiper. Simone Veil était immensément française. Avec son époux Antoine, elle reposera au Panthéon comme témoignage de son apport majeur à la nation.


Les combats de Simone Veil sont éternels. Sa force, sa détermination, sa vision sont éternelles. Son regard et son sourire sont éternels. Michel Onfray a dit de Simone Veil qu’elle faisait partie de « ces gens qui ont rencontré l’Histoire, qui ont modifié l’Histoire ».

Un phare s’est éteint. Une page s’est tournée, l’une des plus belles de notre histoire contemporaine. Mais ce que Simone Veil y a écrit durant toutes ces décennies de combats doit être poursuivi. Le Président de la République Emmanuel Macron a rappelé le 5 juillet aux Invalides dans son discours d’hommage que « les victoires qui ont été les siennes ne sont pas acquises pour toujours ».

A l’heure où les derniers témoins de l’indicible s’éteignent, il est de notre devoir comme témoins des témoins de poursuivre ce travail sans fin que fut celui de Simone Veil pour que la mémoire ne soit jamais altérée et pour qu’elle soit mise au service de la lutte contre tous les génocides. Au-delà du travail de Mémoire et de vigilance qui ont guidé sa vie, elle se sera battue au quotidien avec force, courage et intelligence pour éradiquer la haine et la bêtise qui l’ont si souvent prise pour cible. L’ironie de l’histoire voudra que Simone Veil nous a quitté deux jours avant le premier anniversaire du décès d’Elie Wiesel, l’autre témoin infatigable de la Shoah avec qui elle aura milité durant toute une vie contre l’oubli et pour la vérité. Elle déclara un jour « J’ai le sentiment que le jour où je mourrai, c’est à la Shoah que je penserai ».

A l’heure où le renouvellement politique est à l’œuvre dans notre pays et où une nouvelle génération de responsables publics prend les rênes du pouvoir, cette vie de luttes,  de colères, de convictions, de détermination doit être un exemple et un chemin pour demain.

A l’heure où notre société a parfois tant besoin de lumière, de vision et de courage, il est désormais de notre responsabilité à tous d’agir pour que la flamme et la lumière de ses combats contre la haine, contre l’antisémitisme et contre l’obscurantisme continuent à être portées par les générations à venir. C’est le plus bel hommage que nous pourrons rendre à cette grande dame qui a tiré sa révérence pour la dernière fois.  Nous sommes tous riches de ce que Simone Veil nous laisse en héritage. Soyons en dignes.

Comme l’a dit Jean d’Ormesson lors de l’entrée de Simone Veil à l’Académie française, « Nous vous aimons, Madame». Oui, pour ce que vous avez été, pour ce que vous avez fait, pour ce que vous laissez, nous vous aimons, Madame.