Roch Hachana : un flux de fécondité

Le premier jour de Roch Hachana, on lit dans la Torah un passage qui relate un épisode de la vie d’Abraham : la naissance de son fils Isaac, et ses démêlés avec son autre fils, Ychmael.

A priori, le choix de ce texte est curieux: n’aurait-il pas été plus approprié de lire celui qui se réfère à la Création du monde – dont on célèbre en ce Nouvel An l’anniversaire – ou encore le chapitre consacré à la Techouva, au repentir, et qui est particulièrement d’actualité à Roch Hachana, Jour du Jugement, et premier des jours de pénitence ?

L’explication la plus communément admise est que, selon le Talmud (Roch Hachana 11a), c’est justement le 1er Tichri que Sara s’est vue guérie de sa stérilité, de même d’ailleurs que Ra’hel et ‘Hana. Cette raison permet du reste de rendre compte aussi du choix du texte de la Haftara, dédié à ‘Hana et à la naissance de son fils Samuel.

Il est important de comprendre qu’il n’est pas question ici d’une simple correspondance de dates, formelle et anecdotique. En réalité, nos Maîtres ont ainsi voulu souligner l’immense pouvoir fécondateur dont est porteur ce jour, et dont il ne tient qu’à nous de tirer parti !

Et ce n’est sans doute pas un hasard si la bénéficiaire emblématique de ce flux de fécondité est la mère juive : ainsi sont rappelés, en ce jour solennel, le caractère fondamental du rôle qui lui est dévolu, et la part prépondérante qu’elle assume dans l’éducation de ses enfants !

En vérité, le champ d’application de cette vertu fécondatrice est sans limite.

Elle transparaît notamment à travers un autre lien établi par nombre de commentateurs entre notre texte et Roch Hachana. Lorsque D. a suscité un puits pour venir en aide à Ychmaël, les Anges se sont insurgés : « celui dont la postérité finira par faire mourir Tes enfants de soif, Tu lui offres un puits ? Mais Il leur répondit : en cet instant, est-il innocent ou coupable ? Ils dirent : innocent. » Sur quoi le Talmud (Roch Hachana 16b ; cf. Rachi ibid.) énonce le principe suivant : « On ne juge l’homme qu’en fonction de ses actes au moment-même [où il est jugé], ainsi qu’il est dit : « car D. a entendu la voix du jeune homme là où il se trouve. » (Genèse 21,17)

Autrement dit, on ne demande pas compte au justiciable de ses péchés futurs. Mais certains Maîtres comprennent cet enseignement de façon plus audacieuse et plus radicale encore : on ne demande pas non plus compte, à Roch Hachana, des fautes passées ; on n’y est jugé que sur le présent. Selon cette compréhension, le Jour du Jugement représente un cadeau inestimable, une chance inouïe, une opportunité à saisir : il suffit d’adopter en ce jour un comportement exemplaire pour bénéficier d’un jugement favorable !

Il reste permis néanmoins de s’étonner que le personnage de Ychmaël soit ainsi placé au centre de nos préoccupations en ce Jour sacré. Peut-être convient-il de voir là encore une illustration étonnante, et ô combien actuelle, de la fécondité potentielle dont est porteuse la fête.

La Torah relate, en effet, que Sara demanda à Abraham le renvoi du « fils de la servante », parce qu’il riait. Rabbi Chim’on bar Yo’hay (Tossefta Sota) explique que ce ‘rire’ ne visait rien d’autre que l’héritage d’Abraham : « il riait en disant : c’est moi l’aîné, et j’ai droit à une double part. » Aussi Sara notre Mère s’écrie-t-elle : « le fils de cette servante n’héritera pas avec mon fils, avec Isaac » (ib. 21,10). En d’autres termes, ce n’est pas seulement le destin individuel qui se joue à Roch Hachana, mais aussi celui de la collectivité, et notamment dans le cadre du dur conflit qui est imposé à nos frères en Erets Israël.

Aussi est-ce avec émotion et ferveur que nous clamerons dans la prière des Jours Redoutables :

« Joie pour Ta Terre, et allégresse pour Ta ville… Bien vite, et de nos jours ! »