Rien ne nous empêchera d’être Juifs

Rien ne nous empêchera d’être Juifs.

Personne ne nous interdira de pratiquer le Judaïsme.

Au début du 21e siècle, nous avions assisté à la montée de l’antisémitisme. Tranquillement, dans le silence des consciences, le discours antisioniste s’était installé jusqu’à se banaliser sournoisement puis dévoiler son visage de haine antisémite. Peuple à la mémoire longue, nous avions alerté sur le poids des mots et le choc des idées, on nous crut trop alarmistes, inquiets à mauvais escient.

Survint la tragédie de Toulouse. L’opinion publique comprit alors brutalement que l’antisémitisme de l’islamisme radical était un danger pour tous, pour les démocraties et l’Occident, même si les Juifs étaient les premiers visés. Dans la consternation, notre société découvre que l’horreur n’a pas engendré un recul de la haine ni de l’intolérance. Au contraire, elle a exacerbé un antisémitisme militant auprès d’une certaine jeunesse perméable aux discours d’exclusion et de haine.

Réponse radicale à un radicalisme djihadiste, une laïcité intolérante n’est pourtant pas la solution pour nos sociétés déjà sécularisées. Tout indique à l’inverse qu’elle crée et alimente un clivage inutile qui détruit le lien social au lieu de construire le « vivre-ensemble. »

Dévoyer le principe de laïcité – en faire à la fois une arme et un bouclier contre les religions c’est prendre le risque de diviser la communauté nationale. C’est créer un conflit artificiel entre communautés comme entre croyants et incroyants.

Prolongement ou parallèle avec la banalisation hier du discours antisémite, nous assistons aujourd’hui à la banalisation d’un discours antireligieux contraire aux principes d’une laïcité qui nous est chère, comme à tout citoyen épris de liberté, d’égalité et de fraternité.

A mesure que le malaise vis-à-vis des religions devient plus prégnant dans la société et que ces discours y trouvent un écho favorable, l’exercice quotidien de notre culte mais aussi de toutes les facettes de notre identité juive sont de plus en plus remis en cause, voire suspectés. Au travers du culte, c’est toujours le Judaïsme dans son unité plurielle qui est remis en question.

Lorsque nos étudiants choisissent de mener de front des études et leur épanouissement personnel, que s’entendent-ils parfois opposer ? Que la laïcité impose de devoir choisir entre leurs engagements. Lorsque nous défendons la transmission et la pérennité de nos valeurs et règles alimentaires, de quoi nous accuse-t-on ? Rien moins que de mentir aux consommateurs ou de financer la politique d’Israël à coups de beefsteaks supposés casher !

La Laïcité exigerait désormais que les consommateurs mangent des steaks 100% laïcs et que les viandes subissent le baptême d’une étiquette mentionnant la religion de l’opérateur d’abattoir qui a estourbi l’animal.

Il est urgent de ne pas laisser s’installer un discours qui donnerait à croire qu’il est impossible aujourd’hui d’être croyant tout en étant profondément laïc. Nos communautés sont riches d’hommes et de femmes à la fois religieux et partisans de la laïcité dans son sens républicain. Il est essentiel que la société n’oppose pas le droit de choisir du consommateur et la liberté de conscience du citoyen.

Toutes proportions gardées, nous avons vu où la banalisation peut conduire, comment des propos vains insinués lentement, finissent par devenir de fausses évidences. Gardons-nous d’accepter une lente redéfinition de la notion de laïcité qui dénierait aux religions leur droit à exister. Les mots peuvent se transformer en actes, nous le savons, même si nous espérons nous tromper. Si demain des viandes supposées casher dans le circuit conventionnel devaient porter un signe distinctif, pour marquer leur différence par rapport à une prétendue norme, quelle serait la prochaine étape ? Quelles en seraient les conséquences, pour nos communautés, pour la France et l’Europe autant que pour le modèle sociétal qu’elles incarnent ?

Une fois encore, les Juifs sont confrontés à des défis nouveaux. A l’heure de les relever, faut-il être pessimiste ou optimiste ? Certes, l’inquiétude est bien fondée mais notre dynamisme est tout aussi réel qui porte nos espoirs autant que notre foi en Israël et Jérusalem sa capitale éternelle. Partout restaurants et cours se multiplient. Plus de 1000 mariages sont célébrés chaque année dans nos synagogues, fréquentées par plusieurs centaines de milliers de personnes durant les grands événements de la vie et les grandes fêtes de notre calendrier. Jamais les écoles juives n’ont été aussi pleines, la vie juive aussi intense et notre patrimoine reconnu pour sa valeur et sa singularité.

Nos institutions fonctionnent, travaillent main dans la main et poursuivent des buts communs. Aujourd’hui, le Consistoire est central, fort et uni par-delà les différences de chacun. Il est écouté et entendu pour son expertise et sa connaissance des dossiers. De fait, ses possibilités d’action en faveur de tous se sont encore étendues. Le fruit de nos efforts communs doit être préservé et encouragé.

Face aux défis multiples, il est important de nous rassembler, de faire œuvre commune et de permettre à nos jeunes de se préparer à prendre la relève communautaire dans la sérénité et l’harmonie. A tous les moments critiques où le cap aurait pu être perdu, nous avons fait la preuve que bien guidées, nos structures sont stables et saines, qu’elles sont capables -grâce à des femmes et à des hommes compétents et motivés- de surmonter les épreuves et de continuer d’assurer leurs missions au service de chaque Juif sans distinction.

Pourtant, le Consistoire aura eu à affronter une série de faits sans précédent sur une très courte période. En 4 ans, nous avons eu à faire face à la démission d’un président de l’ACIP à peine élu ; l’élection d’un nouveau Grand Rabbin de Paris après le décès brutal de son prédécesseur ; la nomination d’un nouveau directeur de l’école rabbinique ; le retrait du Grand Rabbin de France et bientôt une nouvelle élection à ce poste clé.

Élus, administrateurs, bénévoles, nombreux sont ceux et celles qui ont compris, aux instants les plus graves, qu’ils étaient face à un choix, qu’ils pouvaient faire vaciller la plus vieille institution juive de France en abandonnant leur poste, en refusant d’être solidaires et unis. Bien au contraire, ils ont décidé de renforcer la synergie communautaire entre consistoires, entre communautés, en travaillant encore plus conjointement avec les autres institutions. A eux, à vous, je tiens à adresser mes très sincères remerciements et à vous témoigner mon profond respect pour l’esprit de responsabilité dont vous avez su faire preuve, guidés par le seul chalom, la solidarité et l’amour de la communauté et du Judaïsme.

Les chantiers que nous avons entrepris, les dossiers que nous avons déposés depuis des années nous ont appris que la bonne volonté politique peut modifier le cours des choses. Pendant des années, nous avons fait confiance à tous les niveaux des instances politiques. Nous avons accepté les dérogations, les délais et les demandes de pièces complémentaires. Aujourd’hui, à l’aube d’une année nouvelle, à l’heure des remises en cause par certains de nos droits les plus élémentaires à exprimer notre identité, à la faire vivre, nous espérons que les bonnes paroles se traduiront enfin en actes et les bonnes intentions en actions de terrain pour que tout ne soit pas fait seulement en mémoire repentante des Juifs assassinés mais aussi pour l’avenir des Juifs vivants.

Chana tova,