Rééduquer la parole, par le Grand rabbin de Paris, Michel Gugenheim

Lorsque, comme cette année, la fête de Pessa’h est retardée du fait de l’ajout d’un second mois d’Adar, le Chabat Hagadol qui, comme on sait, précède immédiatement la fête et consacre l’ouverture de la période pascale, coïncide avec la Parachat Metsora’.

De prime abord, on peut être surpris de ce jumelage : quoi de commun entre la fête anniversaire de notre libération, et la lèpre, cette affection de la peau traditionnellement mise en relation avec le péché de médisance, le Lachone Hara’ ?

En réalité, comme l’enseigne le célèbre Rav de Luntchits, auteur du Olelot Ephraïm (chap. 36), ce rapprochement permet de mettre en vedette un des thèmes majeurs de la fête de Pessa’h. En effet, le Midrach enseigne qu’un des quatre mérites qui ont valu à Israël d’être délivré du joug égyptien est l’absence totale en son sein du moindre médisant ! En d’autres termes, la discipline d’autocensure des mots qu’on prononce, des discours qu’on tient, constitue l’un des agents décisifs de la Délivrance. A contrario, la haine gratuite, et son ferment – les paroles inamicales – dressent des obstacles infranchissables devant la Rédemption.

Dans cette perspective, de nombreux rites pascaux revêtent une tonalité toute particulière. L’obligation de manger du sacrifice pascal « dans une seule maison », et l’interdiction de le consommer en deux groupes différents, ne valent-elles pas condamnation implicite des propos mal intentionnés qui entraînent division et scission ? Et la défense de briser les os de cet agneau ne vise-t-elle pas, symboliquement, à mettre en garde contre la compromission et la corruption du langage qui est l’essence même de l’humain (os, en hébreu, se dit Etsem, qui veut dire aussi essence) ?

Il est, de même, frappant de constater que c’est un bouquet d’hysope qui servit en Egypte à l’aspersion du sang : cette plante qu’on retrouve dans le rituel de purification du lépreux représente l’humilité et la soumission, qualités indispensables pour s’affranchir de la médisance, si souvent inspirée par l’orgueil et l’amour-propre. Et elle est organisée en bouquet, symbole d’unité et de convivialité.

Le nom même de la fête, selon la tradition cabalistique, se décompose ainsi : Pé Sa’h – la bouche qui parle. Il signifie, dans ce contexte, que notre fête est l’occasion, par excellence, d’une rééducation de la Parole.

Puissions-nous, en cette année embolismique, fêter Pessa’h dans la joie, en mettant particulièrement à l’honneur cette dimension incontournable du « Temps de notre Libération ».

‘Hag kacher vesaméa’h !