Pour avoir confiance en l’avenir, par Joël Mergui

Arié avait 3 ans, Gabriel 5 ans, leur père Jonathan Sandler avait 30 ans et Myriam Monsonégo 7 ans. La tragédie de Toulouse porte leur nom et non celui de l’assassin qui les a pourchassés et abattus à bout touchant dans une école de la République. Un assassin qui les a exécutés sans pitié pour la seule raison qu’ils étaient Juifs et que les antisionistes sont les nouveaux antisémites du 21e siècle, qui haïssent les Juifs autant qu’Israël et l’Occident. De cette haine sont morts dans un attentat suicide des touristes israéliens en Bulgarie, car pour être certain de tuer des juifs en Europe aujourd’hui il faut viser une kippa ou un Israélien.

Après le choc, passée la stupeur et à peine revenue de la douleur, la communauté juive s’interroge.

Parce que le Consistoire a tous les jours la responsabilité de faire vivre le Judaïsme en France, j’ai le devoir de porter les attentes, mais aussi les préoccupations de tous ceux qui, au quotidien, nous font confiance pour continuer de tisser les différents liens constitutifs de notre identité plurielle.

En contact permanent avec les rabbins, présidents de communautés, administrateurs, membres de commissions, bénévoles -que je remercie tous chaleureusement pour leur engagement et le travail accompli-, le Consistoire recueille vos avis, questionne, propose et agit en même temps qu’il construit le vivre-ensemble et protège tout notre héritage.

A la veille de la tragédie de Toulouse, vous étiez plusieurs milliers de personnes -parmi les plus engagées et les plus actives de notre communauté- à participer au Congrès des Communautés juives pour débattre et inventer ensemble notre avenir lors de ce qui sera désormais notre grand rendez-vous de démocratie collaborative.

Nous pressentions douloureusement qu’un tournant s’engageait, que la société entrait dans une de ses mutations irréversibles qu’il fallait pouvoir comprendre et accompagner, mais nous refusions de croire que le rejet pour certains, le malaise pour d’autres, la haine pour une minorité conduiraient à la rupture d’un tabou et d’un consensus sur notre identité au point pour un extrémiste d’assassiner des petits enfants juifs.

Une partie de notre société éprouve une certaine perplexité vis-à-vis de notre identité jusqu’alors acceptée avec une bienveillante neutralité. Cette situation, inconfortable, nous contraint à devoir aujourd’hui justifier de pratiques cultuelles jusqu’alors largement admises et légalement autorisées. Lorsque ce n’est pas l’abattage cultuel qui est remis en cause partout en Europe, c’est un tribunal allemand qui remet en cause la circoncision.

Les Juifs d’Europe veulent croire qu’une vie religieuse juive reste possible en Europe.

70 ans après la rafle du Vel’d’Hiv, les Juifs français veulent croire que ce climat d’incompréhension ou de méfiance ne conduira pas à exclure les croyants de la scène publique. Ils espèrent que l’Europe tirera toutes les leçons de son passé et permettra l’épanouissement de la seule identité liée à une religion, le Judaïsme, qu’elle faillit anéantir.

Ils demandent que tous les responsables politiques nationaux et internationaux donnent des gages qu’un avenir reste ouvert aux Juifs qui ont contribué en 2000 ans d’histoire européenne à bâtir une identité, un peuple et une conscience européenne.

Conciliant modernité et tradition le Judaïsme français a toujours su s’adapter aux réalités nouvelles de son temps. Le Consistoire, fort d’une légitimité et d’une expérience acquise depuis sa création il y a deux siècles, veille au quotidien des besoins des Juifs partout en France, du jour de leur naissance à celui de leur ultime voyage.

Je suis déterminé à ce que notre institution -garante du culte qu’elle protège comme un trésor hérité de génération en génération- soit en mesure de faire face à l’isolement des plus fragiles de nos communautés pour éviter qu’avec leur disparition s’appauvrisse aussi notre tissu social national, riche d’une vraie pluralité de cultures et de cultes.

Mes priorités -celles de chacun d’entre nous- doivent toutes avoir pour objectif d’agir dans le sens de la solidarité, en gardant toujours à l’esprit qu’elle est essentielle à notre unité autant qu’indispensable à l’avenir de notre communauté. A nous de former notre jeunesse à prendre la relève communautaire et à assumer à son tour ses responsabilités. A nous de renforcer la vie juive au quotidien, d’aider nos célibataires à fonder la famille juive de leurs voeux. A nous d’être solidaires autour d’un grand label national Beth Din unifié, à l’image des luttes que le Consistoire mène chaque jour pour légitimer et sauver la cacherout de tous les Juifs de France.

A nous de mettre en évidence le lien naturel, évident et indissoluble qui nous attache à Israël et à Jérusalem, capitale de l’État et du Peuple Juif. Tout ce qui touche le judaïsme en Israël nous touche et symétriquement tout ce qui touche les Juifs – où qu’ils soient – dans le monde concerne aussi l’État Juif.

A nous d’être plus efficaces et plus productifs encore en consolidant la synergie additionnelle des Consistoires. A nous de faire en sorte que notre communauté -la plus importante en nombre sur le Vieux Continent- demeure la plus active et la plus dynamique d’Europe, le moteur du Judaïsme européen et le pôle de l’identité juive plurielle.

A nous de répondre aux nouveaux défis auxquels la société nous confronte dans sa recherche de Liberté, d’Égalité, et de Fraternité. A nous de façonner notre destin, de préserver tous nos patrimoines et de rappeler à nos frères et à nos soeurs éloignés que nous appartenons tous à la grande famille du Peuple Juif quelle que soit notre manière d’y être lié.

C’est en puisant en nous, dans la richesse de notre tradition, de notre culture, de notre culte que nous renforcerons notre identité et saurons en valoriser toute la diversité. Démarche active de partage, notre objectif se doit d’être double puisqu’il concerne la communauté nationale-autant que la communauté juive. Plus les liens sociaux sont nombreux, plus ses fils sont imbriqués et solidaires et plus le tissu social et culturel est riche et solide à tous les niveaux de gouvernance. Pareillement, plus nous raffermirons dans toutes nos communautés la conscience de la dimension collective de notre destin et plus nous aurons à cœur d’accueillir les plus éloignés ou hésitants d’entre nous.

Pour ce faire, il nous faut continuer à faire oeuvre d’imagination, d’inventivité et de volonté en créant de nouveaux outils, en ouvrant grands nos cercles d’études et nos lieux d’échanges, en permettant à chacun de venir librement se ressourcer à une parole juive, cultuelle et identitaire forte.

Là, réside l’une des missions du futur Centre Européen du judaïsme : illustrer combien le Judaïsme, héritage de plusieurs millénaires, se vit et se pratique au quotidien sans contradiction ni archaïsme avec notre monde actuel.

Ce que nous sommes et voulons être dépendent de nous qui -sentinelles de l’Histoire et témoins des mutations de nombreuses civilisations- portons depuis des millénaires un message universel de vie et de paix à faire fructifier et partager.

Je forme le voeu pour l’année nouvelle que nous puissions nous épanouir comme juifs, membres d’une communauté nationale plus forte et plus ouverte dont l’unité permettra à chacun de vivre en harmonie, dans la paix et la solidarité.

Chana tova,

Joël MERGUI, Président du Consistoire