Pessa’h : une fête familiale ? par le Grand Rabbin de Paris

« Jusqu’où doit-on réciter (les Psaumes du Hallel, dans la première partie du Séder, la nuit de Pessa’h) ? L’Ecole de Chamaï dit : jusqu’à « la mère des enfants est dans la joie » (fin du Psaume 113). Et l’Ecole de Hillel dit : jusqu’à « le granit en source d’eau » (fin du Psaume 114). Et on conclut par une bénédiction sur la Délivrance » (Michna Pessa’him 116 b).

Dans la compilation de textes complémentaires de la Michna dite Tossefta (X,6), l’Ecole de Chamaï justifie ainsi sa position : « la sortie d’Egypte ne débuta réellement qu’à minuit ; il est donc préférable de placer le Psaume 114 qui lui est essentiellement consacré (« Quand Israël sortit d’Egypte, la Maison de Jacob d’un peuple à la langue barbare » etc.) dans la partie du Séder la plus tardive ».

L’Ecole de Hillel rétorque que la sortie effective n’eut lieu que le lendemain à midi, et qu’en conséquence de toutes façons il ne peut y avoir de correspondance horaire entre la récitation nocturne du Hallel et le moment de la sortie d’Egypte. Cela n’explique toutefois pas pourquoi cette Ecole tient à achever la première partie du Séder sur le Psaume 114 ? Il semble ainsi que cette réponse soit volontairement incomplète, et comporte un non-dit qui exige du commentateur une lecture entre les lignes pour permettre de la clarifier.

Nous souhaitons proposer ici l’explication suivante.

La première phase du Séder s’achève sur une action de grâce se référant à notre libération : « et on conclut par une bénédiction sur la Délivrance ». Louer ainsi D.ieu juste après la lecture du verset : « Il installe dans la maison la femme qui était stérile, la mère des enfants est dans la joie » tendrait à signifier que le but principal de la sortie d’Egypte était de promouvoir l’institution de la famille juive et que l’objectif ultime du Judaïsme consiste pour chacun à fonder un foyer placé sous le signe du service de D.ieu et de Sa Torah.

Or, une telle conception n’est pas tout-à-fait exacte. Aussi heureuse et épanouie que soit la cellule privée et familiale d’un individu, elle ne peut être considérée véritablement réussie que dans la mesure où elle s’intègre et se fond sans réserve dans la communauté d’Israël. Chaque foyer, chaque maison individuelle n’est, en vérité, qu’un élément de la « Maison de Jacob », et « la joie de la mère des enfants » n’est complète que si elle participe de celle du peuple tout entier.

C’est pour attester de cette vérité, que l’on récite, selon l’Ecole de Hillel, le Hallel jusqu’à la fin du Psaume 114, reliant ainsi et rendant indissociables le destin privé et l’histoire collective.

La halakha, comme on sait,  suit l’opinion de l’Ecole de Hillel : lorsque, attablés à la table du Séder nous réciterons ces psaumes, ayons en tête ce message que nous adresse ce grand Maître, afin que le caractère profondément familial de cette magnifique fête de Pessa’h ne nous en fasse pas perdre de vue la dimension collective ; mais qu’il nous serve, au contraire, à ancrer dans le cœur de nos enfants réunis autour de nous, le sens sacré de l’appartenance au ‘Klal’(le peuple d’Israël), et du devoir de solidarité communautaire.

‘Hag kacher vesaméa’h !