Pessa’h ou le sens de la liberté universelle, par Joël Mergui

Comment se fait-il que notre fête de Pessah’, l’une des plus singulières et particulières du judaïsme, ait une résonnance aussi universelle ? Comment est-il possible qu’une célébration juive aussi ritualisée soit devenue un symbole planétaire de libération des peuples ?


Nombre de mouvements de libération à travers l’histoire se sont revendiqués de l’affranchissement des Enfants d’Israël de la servitude égyptienne pour fonder leur propre légitimité à rompre les chaînes de l’oppression et à s’émanciper. Le “Negro spiritual”, de Louis Amstrong « Let my people go », au début du combat pour l’égalité des droits civiques aux Etats Unis, en est l’un des exemples célèbres qui s’inspire clairement du récit biblique de la sortie d’Égypte.

Un Midrach (interprétation rabbinique de la Bible), enseigne que lorsque la Mer des joncs s’est ouverte pour permettre la traversée des Enfants d’Israël, toutes les étendues d’eau à travers le monde se sont aussi ouvertes parallèlement. La libération d’Égypte concernait tous les peuples de la terre et son actualité comme son message sont clairement universels. Quel que soit le peuple, la religion, le système de valeurs auxquels on se rattache, personne ne peut s’accommoder de la servitude. Personne ne devrait accepter l’aliénation et la domination de l’homme par l’homme, c’est ce principe fondamental que nous enseigne ici la Thora.

Pour autant, la liberté ne peut se réduire à l’absence de servitude. Il ne suffit pas de rejeter le joug égyptien, de s’affranchir d’un régime dévoyé, mortifère et tyrannique, cela ne suffit pas à combler les aspirations des hommes en général et d’un Juif en particulier. Une fois la liberté acquise, on en fait quoi ?

La liberté limitée à elle-même n’a aucun sens. On ne devient pas libre dans l’absolu, sans choix à faire ni objectif à atteindre.

Ce que Pharaon, comme prototype du tyran, ne pouvait concevoir ni même accepter c’est que les chefs d’Israël avaient un projet grandiose pour leur peuple : ni plus ni moins que de recevoir LA Loi, de vivre conformément à un code moral, un corpus de règles de vie et une doctrine librement acceptés et également assumés comme tels car la vraie liberté commence par la possibilité d’avoir le choix plutôt que de subir.

C’est la raison pour laquelle la fête de Pessah’, symbole de la délivrance, n’aurait aucun sens si elle n’était pas prolongée et couronnée par la fête de Chavou’oth, célébration du don de la Thora qui est le but de la libération d’Égypte. En d’autres termes, sans Chavou’oth, Pessah’ n’a aucun SENS dans les deux acceptions du terme : le don de la Thora donne à la libération de l’esclavage tout son sens (signification) autant qu’il donne à la fuite hors d’Égypte le sens, c’est-à-dire la direction à suivre, à savoir, Israël comme terre et la Thora comme code de vie.

Voilà pourquoi cet épisode majeur autant que singulier de l’histoire juive est devenu la référence de toute quête de liberté : elle recèle en elle un sens, un message et une portée universels.

Les grands mouvements de libération ont tous obéi à un objectif d’émancipation. La Révolution française, porteuse de valeurs libératrices au niveau individuel et collectif a abouti aux Droits de l’homme et du citoyen qui cimentent aujourd’hui les grandes démocraties du monde.

La liberté laissée aux individus de pouvoir pratiquer le culte de leur choix n’a de sens et de réalité pratique que lorsqu’elle s’accompagne d’une liberté religieuse au niveau collectif, dont le projet est inscrit dans la société elle-même, sous la forme d’une sorte de contrat social et politique. C’est pourquoi en France, la laïcité n’a de sens qu’avec – et non contre – la religion et que son équilibre, sa définition autant que sa direction dépendent étroitement de la possibilité pour un croyant de pouvoir pratiquer pleinement son culte comme pour un non croyant de pouvoir persévérer dans sa voie.

Si deux fêtes juives, Pessah’ et Chavou’ot, sont si étroitement associées à un paradigme universel de liberté, c’est parce que l’épopée émancipatrice des Juifs a servi de modèle pour fonder par la suite toutes les autres entreprises de libération. C’est pourquoi, il est légitime d’observer que partout où les Juifs peuvent vivre pleinement leur judaïsme sans craindre pour leur sécurité et sans devoir limiter leur pratique, la société tout entière jouit d’une grande liberté et d’un climat de tolérance général. L’expérience montre qu’à terme il ne fait bon vivre pour personne lorsque les Juifs sont chassés ou pourchassés d’une ville, d’un territoire, d’un département, d’une province ou d’un pays tout entier.

Serait-il exagéré de conclure que de la liberté des Juifs, où qu’ils soient, dépend la possibilité de la liberté des peuples, prémisse d’une paix universelle ?

Notre liberté religieuse et notre sécurité ont été chèrement acquises au fil du temps. Pour autant, nous ne devons relâcher ni nos efforts ni notre vigilance. Notre peuple a toujours le devoir autant que le besoin de se rassembler autour de ses valeurs, celles que nous portons à travers les civilisations depuis des millénaires, pour les transmettre à nos enfants et en diffuser le message dans tous les milieux où nous vivons.

C’est le rôle que se donne le Consistoire depuis 210 ans pour que, tels les 4 enfants de la Hagada, nous soyons réunis, dans notre diversité, autour de la table familiale du Séder et à l’intérieur de nos communautés. C’est là tout le bonheur que nous vous souhaitons à l’occasion de cette splendide fête de retrouvailles familiales et communautaires.

Joyeux Pessa’h !