Paracha Bo : De la légitimité du leader, par le rabbin Yona Ghertman

« Cet homme aussi, Moïse, était très considéré dans le pays d’Egypte, aux yeux des serviteurs du Pharaon et aux yeux du peuple » (Exode 11, 3)

 

Ce verset indique que Moïse était très respecté en Egypte. Il convient de comprendre pourquoi la Torah trouve-t-elle nécessaire de préciser que cette considération provenait des « serviteurs du Pharaons » et du « peuple ». Une autre précision paraît en outre superflue au début du verset : « Cet homme aussi [Moïse, était très considéré] ». Nous savons bien qui est Moïse, pourquoi indiquer qu’il est un « homme » ?

 

L’auteur du Mechekh ‘Hokhma[1] explique qu’il y a deux sortes de personnalités respectées par le peuple :

–                Celles qui brillent par leur sagesse et leurs qualités morales.

–                Celles qui brillent par leurs actions incroyables, voire surnaturelles.

Les « vrais » leaders sont d’abord reconnus par les sages, c’est-à-dire par l’élite intellectuelle du pays. Ces derniers apprécient les qualités de l’homme qu’ils estiment respectables, puis participent à sa reconnaissance par le reste du peuple.

D’autres leaders ne sont pas reconnus par l’élite intellectuelle, mais parviennent tout de même à s’imposer auprès de la masse grâce à leurs prodiges, à l’illusion de hauteur qu’ils dégagent.

Moïse fait indéniablement partie de la première catégorie. Il est appelé « l’homme de Dieu » (Deutéronome 33, 1), comme pour témoigner que son comportement, ses traits de caractères, se rapprochent du divin. Même les magiciens du Pharaon, ses fidèles serviteurs, furent contraints de reconnaître que son action n’était pas provoquée par des subterfuges, mais par une véritable science divine[2]. Aussi Moïse est-il nommé dans notre verset « l’homme » au sens noble du terme, quasi-divin : sa sagesse, sa modestie et son comportement sont incomparables.

Ainsi sa réputation s’est-elle répandue en premier lieu auprès des « serviteurs du Pharaon », les magiciens qui constituaient l’élite du pays. Puis ensuite seulement « aux yeux du peuple ». Cette manière d’acquérir le prestige du chef est la plus légitime, la plus incontestable. Aucun doute ne peut plus être porté sur le bienfondé de son rôle.

On conclura en remarquant la profonde actualité de ce commentaire, dans notre époque à laquelle la notoriété d’un Rav se mesure trop souvent au nombre de vues que font ses vidéos sur ‘youtube’, ou au nombre de salles qu’il remplit grâce à sa réputation de faiseur de miracles. N’oublions pas que la véritable sagesse ne peut être mesurée que par ceux qui la détiennent déjà, et que celui qui entend diffuser la Torah n’acquiert sa légitimité que par la validation de ses maîtres[3].

 

 


[1] Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926.

[2] Exode 8, 15 : « C’est le doigt de Dieu ».

[3] On retrouve ainsi dans le Talmud une interdiction pour l’élève d’enseigner sans la permission de son maitre (TB Sanhédrin 5b).