Le coin de la Halakha, par le rabbin Michaël Azoulay

Faut-il donner tant d’importance à la cérémonie du tachlikh ?

Du fait qu’il existe deux conceptions de ce rituel, l’une symbolique et l’autre ésotérique, l’on peut soutenir que c’est plutôt la seconde qui permet de comprendre pourquoi le tachlikh, en est arrivé, dans l’esprit de certains, à supplanter le commandement du chofar (« corne de bélier » utilisée les deux jours de Roch ha-chanah pour produire des sons, dont l’écoute constitue un commandement), pourtant bien plus important puisque d’origine biblique.

Ce rituel exécuté le premier jour (dans l’après-midi) de Roch ha-chanah (ou le second si le premier jour tombe un chabbat), tient son nom de la fin du livre de Michée (Mikhah) : « Tu jetteras tous leurs péchés au fond de la mer ! » (Michée, 7, 19).

On se rend au bord de la mer ou d’un cours d’eau pour réciter, notamment, les trois derniers versets de ce livre prophétique (versets 18, 19 et 20).

Cette coutume d’origine achkenaze, a été adoptée par la suite par les juifs sefarades et orientaux, qui se conforment depuis le XVIème siècle au rituel de Rabbi Isaac Louria Achkenazi (1534-1572).

Rachi (1040-1105) fait déjà allusion à cet usage dans un de ses commentaires sur le Talmud (traité Chabbat, p. 81b), usage comportant déjà les deux éléments essentiels du tachlikh, à savoir, l’effet propitiatoire et le fait de jeter quelque chose dans l’eau.

La première référence explicite à cette coutume est celle du Séfer ha-Maharil (XVème siècle) de Rabbi Jacob Möllin, qui prohibe l’usage des miettes de pain jetées lors de cette cérémonie. Insistance témoignant de l’extrême difficulté à changer les habitudes.

Les kabbalistes ont introduit l’usage de secouer ses habits à trois reprises (ils relevaient et agitaient les deux pans de leur redingote), afin de se libérer des « écorces » de péchés, en référence à un enseignement talmudique faisant de la propreté des vêtements un signe de pureté morale.

Pratique dénoncée par certains sages, car induisant en erreur : on se déchargerait de la sorte, comme par magie, de tous les péchés commis durant l’année passée.

La coutume kurde a poussé cette logique au point de sauter dans l’eau après la prière du tachlikh, en se voyant octroyée ainsi la purification de toutes les fautes commises durant l’année échue. Si l’on souhaite conserver cet usage (celle d’agiter ses vêtements), affirme l’un de nos sages, il faut alors bien avoir à l’esprit que nos péchés ne disparaitront dans les profondeurs de la mer que si nous nous amendons.

 

Significations donnés à ce rite :

1)   Le fait de jeter des miettes s’apparenterait au bouc dédié à ‘Azazel (le jour du Yom Kippour, portant avec lui les péchés d’Israël) et aux kapparot (« expiations » consistant à transmettre symboliquement ses péchés à une volaille, la veille du Yom Kippour), comme autant de présents « corrupteurs » destinés à apaiser le Satan, l’Accusateur d’Israël. Les décisionnaires interdisent toutefois de jeter des miettes ou des pierres (je me souviens qu’à Nice, sur le Promenade des anglais, certaines personnes jetaient des cailloux dans la mer, devant laquelle, chose exceptionnelle, toutes les communautés juives se trouvaient réunies). Le Satan serait représenté par le fleuve. Parfaite transition avec le second sens proposé par nos textes.

2)   Le Midrach Tan’houma sur l’épisode biblique du ligotage d’Isaac, présente le Satan qui veut empêcher, en vain, Abraham et son fils de répondre à l’épreuve divine, comme un fleuve se mettant en travers de leur route.

3)   Le Rema (Rabbi Moïse ben Israël Isserles (vers 1525-1572)) propose de voir cette cérémonie comme un moyen de se repentir. Le fond de la mer atteste de la Création du monde, car en nous rendant sur le bord de mer, nous réalisons la toute puissance du Créateur qui a fixé une limite aux flots de la mer afin qu’ils ne submergent pas la terre. En nous rendant près d’un point d’eau le jour de Roch ha-chanah, jour du Jugement, nous prenons conscience de la Création du monde, de l’existence du Roi du monde, et nous regrettons nos péchés. Ce qui a pour conséquence de les effacer. Ils sont jetés au fond de la mer.

4)   Dans le même ordre d’idée, à savoir, l’incitation au repentir, plusieurs sages mentionnent les poissons qui évoluent dans l’eau, et qui furent les premiers témoins de la Création commémorée à Roch ha-chanah :

– Les hommes sont comparés aux poissons pris dans les filets des pêcheurs (cf. Ecclésiaste, 9, 12), car pris au piège de la mort et du Jugement. Ce qui doit nous encourager toujours plus à nous amender.

– Les poissons n’ont pas de paupières, gardant leurs yeux ouverts en permanence, afin d’éveiller la providence divine et sa clémence. « Non certes, il ne s’endort ni ne sommeille, celui qui est le gardien d’Israël » (Psaumes, 121, 4).

Il s’agirait donc, lors du tachlikh, de quémander la permanence de la providence divine, sa protection indéfectible.

6) « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » (Héraclite). L’observation du courant du fleuve doit entrainer la résolution de ne plus réitérer nos péchés. Ce qui s’en est allé ne doit plus revenir.

7)   « On ne oint les rois que près d’une source, afin que leur règne se prolonge» (Talmud, traité Horayyot, p. 12a). Or, à Roch ha-chanah, nous affirmons la souveraineté de Dieu sur nos personnes (cf. la partie malkhiyyot de mousaf de Roch ha-chanah). Avec le tachlikh, nous formons le vœu que l’acceptation du joug divin et l’esprit de pureté retrouvé en ce jour, se prolongent durablement.

8)   «… là on puisa de l’eau, qu’on répandit devant le Seigneur » (I Samuel, 7,6). Le Targoum de Jonathan traduit ainsi : « Ils déversèrent leurs cœurs en contrition, comme de l’eau devant l’Eternel ».

 

Cet article est inspiré pour l’essentiel de l’ouvrage du regretté Rav Issachar Jacobson (1901-1972), Netiv binah, volume 5, Tel-Aviv, éditions Sinaï, 2002, p165-170.