La transmission, source de la liberté, par le rabbin Moshé Sebbag*

Au moment où nous avons été libérés, le premier message de Moïse ne parlait pas de la liberté elle-même, ni du chemin vers la terre d’Israël. Moïse a choisi de parler des enfants, des parents, de l’avenir lointain et de l’obligation de transmettre le souvenir de la sortie d’Égypte aux générations qui n’étaient pas encore venues au monde :

« Lorsque vos enfants vous diront, qu’est-ce que ce service pour vous ? Vous répondrez : c’est un sacrifice de Pessah pour D… » (Exode 12:26)

« Et tu raconteras à ton fils ce jour-là en disant : c’est en vue de ceci que D… a agi en ma faveur quand je suis sorti d’Egypte » (Exode 13:8)

« Et ce sera, lorsque ton fils te demandera demain en disant, Qu’est-ce que ceci ? Tu lui diras comment D… nous a fait sortir d’Egypte, d’une maison d’esclavage ».

La vraie liberté ne s’obtient pas par l’action politique, ni dans les cours de justice, mais par l’instruction.  Il faut une armée pour protéger un État, mais pour préserver une société libre, il faut des écoles qui transmettent des valeurs.

La transmission est fondée sur trois piliers : les parents, l’instruction et la mémoire.  A travers les générations, le peuple juif est devenu une nation dont l’aspiration la plus élevée est l’éducation, dont les murailles sont les écoles et dont les héros sont les enseignants.

Après la destruction du deuxième temple, le traité BB p. 21-1 raconte : « au commencement, l’enseignement était transmis par le père. Si un enfant n’avait pas de père, il n’étudiait pas.  Ensuite, on institua des établissements d’enseignement à Jérusalem mais ceux qui n’avaient pas de père n’étudiaient toujours pas.  Puis on institua des écoles dans chaque quartier où l’on faisait entrer les enfants de plus de 16 ans ; mais si les enfants posaient des problèmes, il fallait les expulser. Enfin, à l’arrivée de Rav Joshua Ben Gamla, il institua que dans chaque État et dans chaque ville, il y aurait des écoles pour les enfants à partir de 6 ans ».

Cette tradition s’ancra au point que Maimonide dans le Mishne Torah écrit que si une ville n’a pas d’école, ses responsables sont retranchés de la communauté jusqu’à ce qu’ils aient établi une école et recruté des enseignants.

Dans le même esprit, au troisième siècle de l’ère commune, Rabbi Yehuda ha-Nasi avait envoyé trois émissaires qui devaient passer de ville en ville pour instituer des écoles.  Ils sont arrivés dans une ville où ils n’ont trouvé ni livres, ni professeurs.  Ils ont demandé aux habitants qui étaient les administrateurs de la ville.  Quand ceux-ci leur ont été présentés, les émissaires les ont appelés « non pas des gardiens de la ville, mais ses destructeurs ». Les administrateurs ont alors demandé : « Qui sont donc les gardiens de la ville ? » et les émissaires ont répondu : « les livres et les professeurs ». (Talmud de Jérusalem, traité Haguigua 21,1)

Aujourd’hui, la liberté se définit trop souvent par l’individualisme qui conduit au chaos.  Mais pour les Juifs, la liberté est la conséquence d’un projet éducatif.  Les parents, les enseignants et l’école sont associés dans un dialogue entre générations qui fonde notre liberté.  C’est la raison pour laquelle les communautés de la diaspora ont institué le système du talmud Torah, qui a protégé notre tradition et préservé l’espoir de notre peuple.  C’est peut-être la raison pour laquelle nous n’appelons pas Moïse notre héros, notre roi ou notre prophète mais « Rabbenou » : notre enseignant.

La religion juive est organisée autour de la transmission et dirigée vers les enfants, quel que soit leur caractère, comme le rappellent les quatre enfants cités par la haggada.  Pour que notre peuple préserve sa liberté, nous devons savoir tisser un lien avec nos enfants et leur transmettre leur histoire et leurs valeurs, qu’ils transmettront plus tard à leurs propres enfants.

* Rabbin de la grande synagogue de La Victoire