Impressions d’Auschwitz

Organisée le 10 février 2013 par le Conseil des Communautés Juives du Val-de-Marne (CCJ 94), et le Consistoire de Paris, cette visite de mémoire à Auschwitz a connu un succès d’audience inattendu, puisque les 150 places de l’avion, entièrement réservé, avaient rapidement trouvé preneurs parmi les membres des communautés valdemarnaises, notamment celle de Fontenay-sous-Bois, emmenée par David Saada, président de l’Union Communautaire des Associations Juives de Fontenay, qui avait fourni le gros du contingent de participants.

Cracovie, première capitale du Royaume de Pologne et son Palais royal. A peine cinquante kilomètres, Auschwitz, gros bourg de campagne, petites maisons individuelles et leurs jardinets proprets, petits immeubles de bureaux, supérettes. Un manteau de neige enveloppe à l’infini un paysage mi-urbain mi-campagnard qui s’offre à la vue des passagers des trois autocars. Ils sont fatigués mais éblouis. Ils se croiraient presque en vacances, quand soudain…


Un parking, au fond duquel un portail surmonté de la tristement célèbre «devise» qui se détache dans le ciel comme une offense à l’humanité de l’homme : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).


Ecouteurs, micros, les guides polonais égrènent d’une voix monocorde et dans un français impeccable le « descriptif » du quotidien cauchemardesque des détenus. La première chose à savoir, nous signale-t-on à la descente des cars, ne pas confondre Auschwitz et Birkenau : le premier est un camp d’emprisonnement concentrationnaire (avec toutefois « sa petite chambre à gaz » et son four crématoire attenant !), le second un véritable camp d’extermination… à l’échelle industrielle.


Ce qui frappe les visiteurs, surtout à Birkenau, c’est l’étendue des lieux, l’étendue glacée, l’étendue de l’entreprise de déshumanisation et d’extermination, la minutie technologique de son organisation.


A l’emplacement de la Judenrampe (Rampe des Juifs), les photos d’époque noir et blanc, grand format, où l’on voit une queue interminable de femmes et d’enfants d’un côté, d’hommes de tous âges de l’autre, tous dépenaillés, éreintés, après des jours de transport dans des wagons à bestiaux. Ils font face à un quarteron de nazis, impeccables, sanglés dans leurs uniformes amidonnés, engoncés dans leurs bottes reluisantes de seigneurs de la guerre. Ils s’apprêtent à effectuer la sinistre et inénarrable sélection : la vie, la mort, décidées d’un geste de la main. De toute façon, il n’y a que la mort et la mort. L’une immédiate, l’autre à petit feu.


La photo, nos pieds dans la neige au même endroit. La photo, un wagon rescapé du voyage de l’enfer. Identique. Immuable. On prend ses repères à l’endroit précis du carnage, on foule le même sol. C’était bien ici. On a en tête les listes interminables de la composition des convois. Il faut si peu d’imagination pour « les » voir tomber des wagons, entendre les cris des bébés, les hurlements des matons, les aboiements des chiens. Sentir les odeurs. Acres. Fétides.


Il neige encore. Tassé par le seul pas incessant des visiteurs, le sol est gelé. Nous dérapons malgré nos chaussures à épaisses semelles. Le froid s’insinue en dépit des couches de chaussettes. Comment pouvaient- « ils » tenir avec des ersatz de semelles en bois, comment faire pour ne pas tomber, affaiblis, affamés, accablés par le froid polaire, vêtus de leurs dérisoires pyjamas rayés.


« Après une plaine blanche, une autre plaine blanche… ». Immense étendue encore, celle du parcours que ces êtres meurtris, affamés, hébétés, sortis des wagons, devaient parcourir. Les uns, la plupart, pour les chambres à gaz, les autres, pour le bloc de quarantaine, antichambre de la mort. Eux ont disparu, mais face à nous ce même ciel, ces mêmes arbres, ce même horizon… derniers reflets qu’ils ont vus de ce monde.


Notre présence, notre prière de Minh’a sur place, les mots forts et intenses prononcés par David Tibi, Président de la Commission des Communautés du Consistoire de Paris et Président du CCJ 94, et les invités des communautés catholique et musulmane de Fontenay-sous-Bois, le Kaddisch du rabbin Mimran, résonnent dans le silence qui nous entoure, apparaît comme une victoire, posthume et dérisoire, contre l’entreprise d’extermination des nazis, comme une survivance, une pérennisation de toutes ces âmes envolées dans ces lieux… mais encore palpables, dont l’effarement, plus encore que le nombre, continue à l’infini de tenailler la conscience de l’humanité.

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© Photos Régis Attuil