Grand ménage de printemps : mode d’emploi, par Joël Mergui

Parmi les nombreuses lois de Pessah, il en est une qui nous interpelle et nous mobilise particulièrement à l’approche de la fête, c’est la fameuse interdiction de consommer et même de posséder du « h’amets » (levain), mitsva qui s’effectue en deux étapes : recherche (bédika) et destruction (bi’our).

L’importance accordée à ce commandement de la Torah et les nombreuses modalités et coutumes qui s’y rattachent ont amené nos familles juives dans les semaines qui précèdent la Fête du printemps » (H’ag ha-aviv) à nettoyer frénétiquement leurs logements pour en extirper toute trace de h’amets, certains allant même jusqu’à transformer leurs maisons en véritables « chantiers de rénovation ».

Ce fameux levain qui, en dehors de Pessah, permet au pain de gonfler et d’acquérir ce goût et cette texture si agréables, est pendant cette fête l’objet d’un acharnement hostile hors de toute mesure. On s’emploie à le traquer et à le débusquer pour le faire disparaître totalement de nos habitats. Mais d’où vient cette hostilité face à une cible déclarée soudainement ennemi public numéro un, alors qu’elle est parfaitement licite tout le reste de l’année, et ô combien utile à notre gastronomie ?

Nos maîtres ont assimilé ce h’amets au mauvais penchant qui prédispose à la faute, en particulier le péché d’orgueil qui « gonfle » l’égo de l’individu comme le levain gonfle la pâte de nos pains, alors que la fête de Pessah’, qui nous ramène à notre condition ancestrale d’esclave, est par excellence une invitation à l’humilité reprise comme un refrain tout au long de la Hagada : « Voici le pain de misère que nos pères ont mangé en Egypte… », « Nous étions esclaves dans le pays d’Egypte… », etc.

Nos sages nous enseignent que le mauvais penchant en luimême ne constitue pas en soi un mal absolu. Il conditionne le libre-arbitre de l’homme qui a l’obligation de le maîtriser : « …et toi tu le domineras ! » (Genèse VI,7)). Ce sont les dérives extrêmes d’un mauvais penchant hors de contrôle qui sont haïssables et funestes. Ainsi le h’amets représente cette propension aux comportements extrêmes qui conduit certains sur la pente du jusqu’au-boutisme, source de la plupart des maux, alors que notre maître Maïmonide érige au contraire le principe du « juste milieu » au rang de « voie royale » vers laquelle doit tendre tout être épris de raison et d’équilibre, et qui est d’ailleurs au coeur de la doctrine religieuse du Consistoire depuis son origine.

A l’inverse des commandements relativement « populaires et consensuels » que sont aujourd’hui notamment la cacherouth et le chabath, il existe des pans entiers de la morale juive (Moussar) et de la bienséance (Dérekh-Erets), auxquels il nous faut accorder plus d’attention. Cela concerne par exemple l’usage de la parole et le respect d’autrui qui nécessitent une autonomie de réflexion et une maturité éthique qui, hélas, ne sont pas à la portée de tous. Il en va ainsi, à l’époque de la super-communication et des fake-news à grande échelle, de la médisance, du colportage et de la calomnie qui font des ravages considérables sans que leurs auteurs ne soient conscients de la gravité de ces travers et, conséquemment, sans qu’ils aient généralement à en rendre compte. Il existe aussi d’autres fléaux redoutables qui nous laissent souvent indifférents ou insensibles parce que la société moderne les a banalisés et que les idoles de l’ère technologique et financière sont venues éclipser nos principes éthiques ancestraux. Ainsi en est-il parfois des relations dans le monde du travail et dans celui des affaires, domaines qui parfois semblent échapper au champ d’application de la Loi formelle, alors qu’il est manifestement inconcevable d’exploiter ou de harceler du personnel, et que faire du commerce sur le dos d’autrui en pratiquant la tromperie, la manipulation, le dol et la spoliation est d’une immoralité absolue.

« A chaque génération le Juif doit se considérer comme étant lui-même sorti d’Egypte », nous dit la Hagada, d’où le triple impératif :

1. de restituer en nous-mêmes le sentiment de grâce de la délivrance, prélude à la conquête de la Liberté qui elle-même est la condition de l’exercice du libre-arbitre, la part la plus noble de l’individu,

2. de protéger nos cœurs de l’orgueil de l’ambition, de la possession, du pouvoir, de la connaissance et de la réussite « à tout prix » qui nous éloigne de nos traditions, de l’esprit de famille et de nos devoirs fondamentaux envers nos frères moins bien lotis, comme l’illustre le chapitre de la Hagada des « quatre fils » qui pose les principes de l’unité familiale et de la solidarité entre les différentes composantes du peuple juif, coresponsables les unes des autres,

3. d’avoir conscience que ce n’est pas une horde d’esclaves « ahuris » qui est sortie d’Egypte, mais un PEUPLE héroïque qui a fait le ménage dans sa conscience et dans ses maisons en remontant un à un à contre-courant les 49 degrés d’impureté où il avait sombré sous l’effet d’une persécution accablante.

En accomplissant ce grand remue-ménage de Pessah’, et en extirpant de nos maisons ces parcelles de h’amets, gardons à l’esprit que le but ultime de cette entreprise titanesque de nettoyage est la purification des cœurs qui doit faire de nous des « Monsieur et Madame Propres » dans tous les sens du terme pour atteindre un niveau d’EXEMPLARITE qui nous mettra à l’abri des mauvaises pulsions intérieures, ce « levain qui est dans la pâte » et favorisera à l’extérieur la « bonne réputation » des Juifs et d’Israël (Kiddouch Hachem).

J’adresse tous mes voeux à chacun d’entre vous afin que, quelles que soient les menaces actuelles, on continue de BATIR les structures et les programmes communautaires pour assurer à nos enfants un avenir dans la lettre et l’esprit des idéaux du judaïsme.

Joyeux Pessah !