Entre inquiétudes et espérances, par Philippe Meyer

Le début d’année est toujours le moment privilégié d’une rétrospective, d’un bilan, d’une projection. En ce début d’année juive 5777, nous aurions aimé tenir des propos optimistes, apaisés, rassurés. Malheureusement ce sera bien difficile. Comme citoyens et comme juifs, nous sommes, et nous restons inquiets.

 

Inquiets de voir que les juifs demeurent des cibles – encore et toujours.

 

Comment supporter qu’après Ilan Halimi, Toulouse et l’Hypercacher, des juifs portant la kippa soient encore poignardés à Marseille, à Strasbourg ou ailleurs par des assassins islamistes qualifiés honteusement de « déséquilibrés » ?

 

Comment supporter cette haine anti-juive qui s’installe au quotidien à travers ces actes d’antisémitisme ordinaire et cet antisionisme toléré ?

 

Comment supporter que des juifs doivent quitter des zones géographiques en France où il leur est devenu de facto impossible de vivre ? Des zones de non-droit fermées dans le même temps à la République.

 

Comment supporter que dans les rues de Paris ou d’ailleurs, les militants de BDS continuent de déverser leurs appels illégaux au rejet d’Israël, et en réalité au rejet des juifs ?

 

Comment supporter qu’une instance internationale comme l’UNESCO, sensée promouvoir l’éducation et la culture, dénie régulièrement tout lien historique entre le Peuple juif et Jérusalem, sous la pression de certains pays arabes et avec le laisser-faire de la France ?

 

Inquiets de voir, comme nous le disions depuis longtemps, et comme l’histoire l’a toujours montré, que les juifs n’étaient que les premières cibles des ennemis de la liberté.

 

Notre société dans son ensemble a été meurtrie comme jamais. On a vu à quel point les ennemis des juifs et les ennemis de la République sont les mêmes. On a vu à quel point combattre à Paris, à Bruxelles ou à Jérusalem la haine des juifs c’est défendre partout la démocratie.

 

Au-delà d’enfants juifs tués avec leur jeune père et professeur devant leur école et de citoyens juifs abattus alors qu’ils venaient faire leurs courses de Chabbat, les djihadistes ont assassinés lâchement et aveuglement des militaires, des journalistes dans leur salle de rédaction, des jeunes au Bataclan et sur des terrasses de cafés, des policiers devant leurs enfants, des familles sur la promenade des anglais, un prêtre de 86 ans dans son église. Tous, des symboles de notre société dont l’islamisme radical veut détruire les racines, le mode de vie, et l’identité même.

 

Loin de tout « devoir d’empathie » face aux assassins que certains cherchent honteusement distiller ici ou là, tous ces actes ignobles et ceux qui les ont commis ne suscitent que le dégoût et n’appellent qu’à une condamnation sans appel, et surtout à une mobilisation totale pour les combattre.

 

Chaque fois, une limite dans l’horreur est franchie. Et qui peut dire que le pire est derrière nous ? Daech commence à subir à Mossoul ou ailleurs des défaites militaires qui laissent espérer changer la donne. Mais le combat sera long, difficile et douloureux. Et tant reste à faire, ici, pour combattre le mal dans les quartiers, les écoles, les prisons ou sur internet, avec tous ceux qui ont conscience de la gravité de la situation et de ses enjeux.

 

Inquiets enfin de voir les conséquences de ces menaces sécuritaires sur un débat politique souvent malsain qui s’installe dans notre pays.

 

Les dérives vers une laïcité extrême, supposée naïvement par certains être une réponse à l’islamisme radical, font courir aux juifs des risques collatéraux inacceptables et à la République un risque pour sa cohésion.

 

La laïcité, ce n’est pas tout confondre et tout interdire. Par lâcheté ou par ignorance. Pour citer le Grand Rabbin de France Haim Korsia : « La laïcité, ce n’est pas l’athéisme d’Etat ».

 

Comme partout en Europe, le climat anxiogène nourrit la démagogie, les populismes et le retour de nos vieux démons. Leur barrer la route est nécessaire pour poursuivre la nôtre.

 

Lutte contre le djihadisme. Lutte contre les extrémismes. Lutte contre les populismes. Les mois à venir seront décisifs pour les juifs de France et pour notre société qui est à la croisée des chemins : se défendre et rester elle-même, ou baisser les bras et se perdre.

 

Mais dans ce climat difficile, il convient de rappeler en ce début d’année la réponse qui a toujours été celle du judaïsme à la haine, à la barbarie, et à la folie du monde.

 

Le judaïsme, c’est la priorité donnée à la vie et à la paix.

Le judaïsme, c’est l’éducation, la transmission et la construction d’écoles.

Le judaïsme, c’est la fraternité, la solidarité, et la générosité.

Le judaïsme, c’est la fierté de notre identité, tout en respectant celles d’autrui.

Le judaïsme, c’est résister, rester debout et continuer de vivre, sans renoncements.

Le judaïsme, c’est la confiance dans l’homme et dans l’avenir.

 

Cette réponse du judaïsme a été portée par ces grandes voix juives qui se sont éteintes l’année écoulée : Samuel Pisar, le Grand Rabbin Joseph Sitruk, Shimon Peres et bien sûr, ce géant de la conscience humaine, Elie Wiesel, pour qui : « Le judaïsme n’a pas vocation de judaïser le monde, mais de l’humaniser ».

 

Cette réponse du judaïsme est le reflet de nos valeurs et de notre histoire. Elle est un message universel pour espérer et donner à espérer. Une espérance qui est au cœur de la foi et de l’identité juive. Une espérance dont notre société à aujourd’hui tant besoin.

 

Nos ennemis ne parviendront pas à nous décourager et à nous faire dévier de notre route. Avec volonté et énergie, unis et solidaires avec tous les défenseurs de la République, nous les ferons échouer. Ici comme ailleurs, pour construire ensemble des jours meilleurs.