Créons une Agence nationale pour les sans-abri par Nicole Guedj

Pas question d’instaurer une énième structure bureaucratique mais un véritable guichet unique d’orientation vers tous les services sanitaires et sociaux.

C’est par le déclenchement de l’alarme médiatique, au gré d’une conférence sur la pauvreté, ou de la mort, dans la rue, de sans-abri en période hivernale, que l’on se souvient, le temps d’une «actualité», du sort des exclus. Du sort des sans-abri, sans travail, souvent sans-papiers, quelques fois sans famille… En vérité, ce sont leurs droits premiers qui sont menacés. Cela nous oblige à repenser l’égalité comme un droit à une égale attention.


Ne nous y trompons pas, les sans-abri sont des citoyens en attente d’une reconnaissance qui passe par un traitement social spécifique. Leurs besoins ne se limitent pas, en effet, à une ration calorique, une place d’hébergement ou même un logement.


Chaque année à la même époque, j’exprime ma crainte de voir, dans notre pays, les sans-abri sombrer dans l’oubli après la période de grand froid. Malgré la mobilisation du réseau associatif, des politiques et des médias, le sort des SDF, s’apparente à une forme «maltraitance».

Chaque année à la même époque, nous faisons face aux mêmes évidences. La capacité d’accueil des foyers d’hébergement est bien en deçà des besoins. Les réquisitions, pour certaines tapageuses, nous rappellent qu’en matière de politique du logement, nous n’avons pas les moyens de nos ambitions.

C’est par une véritable politique publique d’aide et d’accompagnement qui prendrait en compte tous les aspects de cette forme indigne d’exclusion que nous lutterons efficacement contre l’érosion des droits qui «emprisonne» dans la rue ces accidentés de la vie.

Lorsque le seuil des 100 000 sans-emploi fut en son temps atteint, Jacques Chirac créait l’ANPE. Les sans-abri sont peut-être aujourd’hui plus de 130 000, sans que l’on puisse même définir avec certitude le nombre de ceux qui sont «tombés dans la rue».


L’Agence nationale pour les sans-abri que j’appelle de mes vœux de longue date, s’attacherait soutenir et optimiser le travail des associations et des institutions publiques, en coordonnant leurs actions et en mutualisant leurs ressources.


Véritable guichet unique d’orientation, cette agence dirigerait les sans-abri vers tous les services sanitaires et sociaux, au demeurant existants, qui devraient également leur bénéficier. Pas question d’une énième structure bureaucratique, ni d’un effet d’annonce à l’approche des grands –froids. Elle aurait en premier lieu un rôle de recensement et d’identification de cette population hétérogène. Elle répondrait également à plusieurs besoins : assurer que les SDF aient accès à leurs droits en matière d’identité, de prestations sociales (RSA, allocations familiales, retraite…) mais aussi, pourquoi pas, les accompagner dans l’exercice de leurs droits au logement opposable.


L’observatoire des non-recours aux droits et aux services montre que sont nombreux ces sans-abri qui ignorent leurs droits ou ne les revendiquent pas. L’agence pourrait aussi organiser, dans la durée, leur suivi sanitaire, notamment leur soutien psychologique et psychiatrique avec des traitements de désintoxication indispensables pour certains d’entre eux. Elle pourrait enfin permettre l’exercice de leur droit à la formation et à l’insertion, surtout lorsque l’on sait qu’un SDF sur quatre a moins de 25 ans.


Parmi eux, il y a également des femmes et des enfants qui doivent naturellement bénéficier de leurs droits parentaux et éducatifs, des personnes âgées en situation de percevoir une retraite, des adolescents en obligation de scolarité ou encore des travailleurs pauvres qui aspirent uniquement à un logement décent.


A l’instar du Droit des victimes dont on a fini, dans notre pays, par reconnaitre la légitimité, il est urgent de consolider les droits d’une population fragilisée à l’extrême, en mal de considération et de reconnaissance sociale.


Comment en fin 2012, ne pas partager cette colère qui était déjà celle de Michelet : «Oui tant qu’il y aura de mes compatriotes campant aux portes de la cité sans pouvoir y entrer, cette cité ne sera pas tout à fait la mienne.» La générosité ne se décrète pas. L’action politique peut la révéler…

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11 décembre 2012


Par NICOLE GUEDJ, ancienne secrétaire d’Etat aux Droits des victimes, ancien membre du Consistoire de Paris, avocate