Commentaire de la paracha Ki-Tetsé, par le rabbin Michaël Azoulay

« Si un homme a deux femmes, l’une qu’il aime, l’autre qu’il n’aime pas ; elles lui ont donné des fils, celle qu’il aime et celle qu’il n’aime pas, et il se trouve que l’aîné soit de celle qu’il n’aime pas. Le jour où il partagera à ses fils ce qu’il possédera, il ne pourra pas traiter en aîné le fils de la femme qu’il aime au détriment du fils de la femme qu’il n’aime pas qui, lui, est l’aîné. Mais l’aîné, le fils de la femme dédaignée, il le reconnaîtra en lui donnant double part de tout ce qui se trouve chez lui : car il est prémices de sa virilité, c’est à lui qu’appartient le doit d’aînesse ». (Deutéronome, 21, 15-17).


L’héritage est défini comme tout ce qui est transmis, après la mort d’une personne, par voie de succession, aux héritiers.


La doxa, influencée par le droit successoral qui ne s’attache qu’à la dimension patrimoniale de la transmission, mésestime la dimension affective du don. Car en donnant des biens, c’est aussi, et peut être surtout, de l’amour et de la reconnaissance que le léguant témoigne au légataire. Observez dans ces versets la réitération des termes « qu’il aime », « qu’il n’aime pas », et la projection, dans le fils héritier, de l’amour porté à la femme aimée, sa mère. Si bien que lorsque Dieu enjoint le père de reconnaître comme son aîné le fils de la bienaimée, il est loisible, par delà les conséquences juridiques en matière successorale de cet aveu de primogéniture, de voir dans cette reconnaissance la considération qu’est en droit d’attendre cet enfant qui a eu la malchance d’être issu de la « mauvaise » femme.


Dans les conflits parfois exacerbés qui déchirent les héritiers, n’est-ce qu’affaires de gros sous, ou n’y a t-il pas résurgence de vieilles rancœurs liées à des préférences affichées pour tel ou tel enfant, et qui se prolongent, hélas, après la mort du géniteur ?


Il n’est pas anodin qu’en hébreu, le terme qui désigne l’argent, kessef, signifie également « désir ». Il ne s’agit pas seulement de l’appât du gain, mais aussi du désir d’être aimé, reconnu, de se voir attribuer une place dans une famille.


En ce sens, transmettre un héritage, c’est transmettre bien plus que des biens ; c’est exprimer des sentiments d’amour ou de dédain à l’endroit du légataire.


Dans ce passage biblique, il s’agit de réparer une injustice. Le droit joue ce rôle, lorsque l’éthique des sentiments déchoit.