« Comme Ephraïm et Ménaché » : Rester juifs en exil, par le rabbin Yona Ghertman

Il est d’usage chaque vendredi soir que les parents bénissent leurs garçons en leur souhaitant d’être « comme Ephraïm et Ménaché ». La source première de cette coutume se trouve dans la paracha Vayé’hi que nous lisons ce Shabbat. Ainsi est-il écrit à propos de la bénédiction prononcée par Yaakov aux deux enfants de Yossef, ses petits-fils : « Il les bénit alors et il dit : ‘ Israël te nommera dans ses bénédictions, en disant : Dieu te fasse devenir comme Éphraïm et Ménaché !’ (…) » (Béréchit 48, 20). Rachi commente sur place : « Celui qui vient bénir ses fils, les bénira avec leur bénédiction et dira, chacun à son fils : ‘Que Dieu te fasse devenir comme Ephraïm et Ménaché’ ».


Pourquoi les deux fils de Yossef deviennent-ils le modèle des bénédictions adressées à la postérité d’Israël alors que d’autres petits-enfants de Yaakov étaient alors présents en Egypte, notamment Pérets et Zéra’h, les deux fils de Yéhouda ? Qu’avaient-ils de spécifique pour être ainsi distingués ? Et pourquoi sont-ils les seuls à avoir traverser l’histoire pour devenir le modèle de bénédiction par excellence pour les générations à venir ?


Pour répondre à ces questions, il convient de comprendre la différence existant entre Ephraïm et Ménaché, d’une part, et les autres petits-enfants de Yaakov, d’autre part. Alors que ces derniers sont nés en terre de Canaan, auprès de leur famille, les fils de Yossef ont évolué pendant longtemps comme des Egyptiens, au sein d’un peuple aux valeurs profondément différentes de celles d’Israël. Ils sont en quelque sorte les précurseurs de l’exil, car ils sont les premiers « béné-Israël » à être nés dans ce futur lieu d’esclavage.


Habitués du palais royal, les jeunes princes n’en demeurent pas moins fidèles à leurs traditions ancestrales et à leur famille. Ils deviennent eux-mêmes des fondateurs de tribus d’Israël, au même titre que les fils de Yaakov. Lorsque leur famille vient habiter en Egypte, ils sont donc entre deux mondes : à la fois intégrés dans la société égyptienne et dans le destin d’Israël.


Aussi est-il donc logique qu’Ephraïm et Ménaché deviennent les modèles des générations à venir. Durant toute l’histoire juive, les périodes d’exil ont été bien plus importantes que les périodes durant lesquelles les juifs vivaient en parfaite autonomie. Or lorsque nous sommes accueillis dans un pays, il convient de s’y intégrer, de s’y investir… tout en faisant attention à garder scrupuleusement les lois de la Torah. C’est dans cette optique que nous bénissons chaque vendredi soir nos enfants, en leur souhaitant de devenir comme Ephraïm et Ménaché, à la fois parfaitement intégrés et respectés dans le pays qui les a vus naître, et profondément soucieux de rester fidèles aux lois de leurs pères.