Au commencement Dieu créa l’occiput nu, par le rabbin Michael Azoulay

Notre étude ne portera que sur le couvre-chef des hommes juifs, le fait de se couvrir la tête pour les femmes juives mariées relevant d’une toute autre réflexion. Le Talmud évoque à de nombreuses reprises le kissouï roch (« coiffure », au sens de ce qui sert à couvrir la tête) masculin mais jamais comme une norme religieuse qui s’imposerait à tous les hommes et à toutes les activités. Ainsi, le Talmud et le Zohar[1] considèrent comme inconvenant le fait pour les savants d’aller tête nue même pour parcourir une distance de quatre coudées (moins de deux mètres), « en raison de la Présence divine s’étendant au-dessus d’eux »[2]. Le Talmud relie également le port d’un couvre-chef à l’exercice du culte (récitation de prières)[3]. La kippah (« calotte »), c’est d’abord le destin passionnant d’une coutume catégorielle, ultra minoritaire, qui parvient, pour des raisons historiques[4]et sociologiques, à transcender les catégories. Rabbi Yossef Caro (1488-1575), dans le Choul’han ‘aroukh (partie Ora’h ‘haïm, chapitre 2, paragraphe 6) écrit : « Il est proscrit d’aller la tête haute et il ne faut pas parcourir (même) quatre coudées la tête nue… ». La première règle étant formulée comme une prohibition alors que la seconde semble relever plutôt d’une recommandation, a conduit la majorité des décisionnaires à voir dans le port de la kippah un acte de piété (midat ‘hassidout) sans caractère contraignant. Celui qui ne se couvrirait pas la tête n’enfreindrait donc aucun interdit (issour)[5]. Le Rav Ovadia Yossef insiste cependant sur l’importance de ce signe extérieur de piété juive à notre époque (particulièrement en Israël) où il témoigne de l’attachement à l’orthodoxie et à l’orthopraxie[6].

La juxtaposition opérée par le Choul’han ‘aroukh du péché d’orgueil (« aller la tête haute ») au port de la kippah qui traduit le sentiment de la Présence divine « au-dessus de notre tête », pour reprendre les mots du Talmud, est déjà en soi signifiante. La kippah est « symbole de recouvrement et de discrétion »[7] là où la vanité est ostentation et dévoilement. Mais, paradoxalement, la kippah se donne à voir, interpelle le regard, se présentant ainsi comme le « symbole de la non-dissimulation, de la révélation, donc du refus de la dissimulation, de la fraude »[8]. Arborer son identité juive, et la kippah est signe identitaire par excellence, oblige moralement à sanctifier le nom de Dieu et à se préserver de son contraire, la profanation du Nom, et du discrédit subséquent du peuple de Dieu.

 


[1] Zohar, parachat Pin’has, p.245b.

[2] Qiddouchin 31a, Chabbat 118b. Le Talmud va jusqu’à citer l’exemple d’une mère qui couvrait la tête de son enfant dès son plus jeune âge afin de lui inculquer très tôt la crainte divine.

[3] Roch Hachana p. 17b, Ta’anit p. 20a.

[4] Dès le Moyen Âge, la plupart des rabbins associent le port d’un couvre-chef avec la piété et son contraire avec la frivolité. En outre, en Europe chrétienne, marcher tête nue est perçu chez les juifs comme relevant de l’usage des gentils, l’antijudaïsme de ces derniers contraignant les juifs à porter des couvre-chefs spécifiquement juifs.

[5] Les hommes qui, notamment pour des raisons professionnelles, sont gênées par le port d’un couvre-chef, se fondent sur cette conclusion pour s’en dispenser. La situation sécuritaire des juifs en France, à l’heure où j’écris ces lignes, peut également justifier cette exemption. Il est toutefois recommandé de remplacer la kippah par un autre couvre chef moins connoté religieusement, plutôt que d’aller tête nue.

[6] Responsa Ye’havé Da’at, quatrième volume, premier chapitre.

[7] Identité juive identité humaine, p.97, Raphaël Draï. Armand Colin Editeur. Paris, 1995.

[8] Id., p.97.