2e chabbat des dirigeants communautaires de France

« L’esprit Consistoire : un modèle de judaïsme français ? » tel était le thème du 2e chabbat des dirigeants communautaires organisé par le Consistoire ce week-end du 18 au 20 janvier 2013, à Coudray dans l’Essonne.

Dès après le premier repas de chabbat, le Grand-Rabbin de Paris, Michel Gugenheim, a livré à l’auditoire « la vision religieuse du Consistoire » telle qu’elle s’articule historiquement et sociologiquement dans son rapport à la modernité dont découlent différents courants du judaïsme. Après l’analyse de chacun d’entre eux au regard de la Halakha, Michel Gugenheim a démontré en quoi et pourquoi le judaïsme consistorial réussissait, en dépit de tous les reproches que l’on peut lui faire, à fédérer et à unifier de manière unique et exemplaire, les forces vives du judaïsme français dans le strict respect de la Halakha et des grands décisionnaires.

Chabbat matin, les participants eurent à débattre de « La place des femmes dans la vision consistoriale, » une table ronde animée par Madame Evelyne Gougenheim, administratrice du Consistoire de Paris et mesdames : Caroline Bentolila, présidente de la communauté de Bayonne-Biarritz, Melissa Sarfati, présidente de la communauté de Cagnes-sur-Mer, Gladys Tibi présidente du Libi France, Dolly Touitou, présidente de la Communauté de Vanves, Joëlle Lezmi présidente de la Wizo.

Le Leadership au féminin s’exerce au sein des communautés de manière très concrète, distinguant sans peine ce qui relève de l’associatif -avec la gestion simple ou complexe du quotidien- de ce qui appartient au domaine religieux proprement dit et donc au rabbin. Travaillant en parfaite harmonie avec leur rabbin, ces femmes qui ont choisi par exemple de ne jamais prendre la parole lors des offices, opèrent à la tête de leur communauté grâce à leur aptitude à diriger et à s’engager, mais aussi à partager les responsabilités de manière collective avec tous ceux qui, comme elles, veulent faire avancer les choses et faire évoluer le fonctionnement de leur communauté.

A la tête d’institutions non cultuelles, les femmes présidentes n’ont pas eu à faire le choix de séparer strictement le religieux du profane pour piloter leur association. Toutefois, ces dirigeantes sont confrontées,  en tant que femmes et femmes juives à la question de l’égalité et de la reconnaissance de leurs compétences par rapport à celles des hommes.

Invité à clarifier la place des femmes dans la Loi religieuse, le Grand Rabbin de Paris Michel Gugenheim s’est prononcé sur des questions très concrètes pour affirmer que si différences il y a évidemment entre les sexes et entre les rôles, cette différence n’était pas synonyme d’inégalité mais bien de vraie complémentarité. Il a rappelé avec force que l’éducation des femmes et des jeunes filles était un vrai enjeu et une nécessité particulièrement fondamentale à une époque où, juridiquement et socialement, la femme a accédé à une égalité de droits. Puisque séparation il doit y avoir entre les hommes et les femmes durant les offices, celle-ci ne doit en aucun cas se faire au détriment des femmes qui doivent pouvoir voir et entendre ce qui se déroule. Répondant à la question des Bat Mitsva qui lui fut directement posée par l’auditoire passionné par les débats,  le Grand Rabbin de Paris a déclaré que cette étape si importante dans la vie des jeunes qui consacrait comme un prince un garçon qui entre dans sa vie adulte, devait également considérer comme des princesses les filles qui accèdent à leur majorité religieuse.

« L’institution consistoriale a-t-elle toujours sa raison d’être, » était l’objet du débat de chabbat midi présenté par Jack-Yves Bohbot vice-président du Consistoire Central. Raphaël Draï, professeur émérite de Sciences-Politiques, a rappelé que le Consistoire est né de la volonté politique de Napoléon  1e de séculariser toutes les religions au sein de l’Empire. En 1807, après avoir imposé aux catholiques un concordat, il exige que le Grand Sanhédrin réponde à 12 questions fondamentales. Son objectif est clair : fondre les Juifs dans la nation grâce à un outil : le Consistoire. Or, l’institution comme la communauté juive lui ont donné historiquement donné tort.

En répondant habilement aux questions de Napoléon, les Juifs ont conservé ce qui fait la richesse autant que l’intemporalité du modèle juif : une organisation structurée autour d’un double pouvoir exécutif et spirituel. Ce modèle constitue la base de l’organisation de la communauté, autant que celui du Consistoire à qui la gestion et la représentation ont été historiquement confiées. Voilà pourquoi, l’émiettement en institutions rivales représente un danger majeur pour le judaïsme français en péril de voir éclater son modèle originel dans un contexte de crise et d’antisémitisme.

Irrationnel, l’antisémitisme selon Raphaël Draï ne doit pas enfermer ni limiter l’existence de la communauté, qui doit fièrement se souvenir qu’elle forme le seul peuple ancien aujourd’hui encore vivant. A ce titre, personne -a t-il souligné- n’est légitime à nous demander de rendre des comptes, ni d’exiger de nous de nous justifier d’exister pour ce que nous sommes.

En conclusion, Raphaël Draï a proposé que tous les dirigeants et acteurs de nos communautés s’adjoignent une 614e mitsva, celle de la « grâce. » Autrement dit, de faire en sorte que chaque prise de parole, chaque engagement apporte à la communauté davantage de bonheur et de fierté d’être juif et d’appartenir à un peuple dont la mission est d’apporter la shehina dans ce monde. Une mission que ce type de séminaire selon lui, permet d’accomplir et de partager.

Motsé chabbat, le journaliste Daniel Haïk, spécialiste en sciences-politiques, a présenté les acteurs et les enjeux des élections israéliennes à la Knesset dressant pour chaque parti et personnalité en lice, un historique autant qu’un pronostic sur leur chance de conserver ou d’accéder au pouvoir.

Après un quizz animé par équipes sur des sujets communautaire autant qu’historique ou religieux, la soirée s’est achevée par un concert de musique israélienne.

Daniel Haik

Dimanche matin, une rencontre était organisée, sur le thème de « La place du Consistoire face aux pouvoirs publics » avec M. Jean Daubigny, Préfet d’Ile-de-France, M. Thomas Andrieu, Directeur Adjoint du Cabinet du Ministre de l’Intérieur. S’adressant au nom de la communauté et du Consistoire dont il est président, M. Joël Mergui a fait part de ses préoccupations au sujet de la sécurité, de la laïcité et des risques de remises en cause de certains acquis au niveau français ou européen tels que l’abattage religieux, la circoncision ou les carrés confessionnels par exemple. Il a également souligné combien importait de pouvoir travailler en bonne intelligence avec les pouvoirs publics sur des questions essentielles de la communauté qu’elles émanent des étudiants –dont il reçoit de nombreuses demandes d’aide-, des présidents ou membres de communautés  confrontés à des problèmes particuliers à résoudre.

En réponse, M. Thomas Andrieu, a rappelé que l’Etat doit garantir la liberté de culte et en faciliter l’accomplissement, tout en garantissant le principe d’égalité des droits pour tous les citoyens ainsi que l’ordre public. Selon lui, la gestion des cas sur le terrain, par les préfets ou autres représentants de l’Etat, est préférable à la législation.

Face à la hausse de l’antisémitisme (+ 45% d’actes antisémites sur 2012. +54 % menaces et +26 % violences), l’État selon lui, doit assurer en priorité la possibilité d’être juif avant même d’aborder la liberté de culte, bien que celle-ci reste bien sûr essentielle. Le gouvernement, a-t-il rappelé, applique une fermeté absolue contre la violence antisémite. Les dispositifs ont été reconduits pour sécuriser les bâtiments communautaires.

Il appelle la communauté juive à ne pas hésiter à déposer plainte ainsi qu’à signaler tous les messages de haines sur internet et les réseaux sociaux. Concernant ce phénomène nouveau et en pleine croissance, le gouvernement étudie les droits des sociétés américaines (Google, Facebook et Tweeter) qui bénéficient de la constitution américaine très libérale. Concernant la liberté de culte, la France souhaite préserver la dérogation pour l’abattage religieux.

Le Préfet d’Ile-de-France a conclu en soulignant la place privilégiée du Consistoire avec les pouvoirs publics et a appelé tous les dirigeants présents à ne pas hésiter à aller vers les préfets et les maires, rappelant que la loi pose des interdits mais ouvre aussi des droits.

Concernant les conférences départementales sur la liberté religieuse, ces rendez-vous périodiques sont maintenus. Elles ont notamment pour objectif d’évaluer les missions et les besoins des aumôneries. Concernant le Centre Européen du Judaïsme, l’engagement de l’État n’est pas remis en question.

Ont suivi plusieurs interventions de dirigeants, notamment sur les carrés confessionnels (en particulier dans les petites villes), ou encore sur les propos antisionistes qui masquent un réel antisémitisme.

En conclusion, Joël Mergui a fait remarquer que les consignes ministérielles de protection des lieux communautaires sont plus ou moins respectées à travers la France. Il est surpris du manque de protection pour certaines synagogues de province qui sont pourtant peu nombreuses, et parfois seule dans un département. Il a enfin insisté sur la nécessité d’obtenir, conformément au droit européen, la possibilité de manger cacher dans les prisons, quand bien même il y a peu de prisonniers juifs.

Préfets

Après le déjeuner, le rôle des jeunes dans l’Institution a été débattu par plusieurs représentants, de la Hazak, du SPCJ, ou encore des membres de commissions administratives de communautés. Ce débat, animé par Max-David Ghozlan, administrateur du Consistoire, a permis de montrer qu’il existe de nombreuses façons pour un jeune de s’impliquer, selon sa sensibilité et ses aspirations.

Jeunes

Le Grand Rabbin Olivier Kaufmann, nouvellement nommé Directeur de l’Ecole Rabbinique de France (rue Vauquelin), a ensuite, après un dvar Torah centré sur le « racha » dans la haggada de Pessah, présenté la méthode qu’il compte suivre pour mener à bien sa nouvelle mission. Il souhaite accompagner les élèves-rabbins, durant leur apprentissage, mais également à leur entrée en communauté.

A ses yeux, ceux-ci doivent être confrontés aux réalités du terrain dès la 1ère année, c’est pourquoi il souhaite instaurer un véritable tutorat rabbinique, et ouvrir l’école au monde extérieur (universités et yeshivot). Pour le Grand Rabbin Kaufmann il est primordial de « détecter les talents » dans les écoles juives aussi bien que dans les mouvements de jeunesse tels que par exemple la hazac … Un rabbin a t-il déclaré devra lorsqu’il sortira du Séminaire, être heureux et disponible en respectant sa vie familiale et privée.

Olivier Kaufmann

Dans son message de conclusion le président Joël Mergui a remercié la Fédération Sépharade de France et à l’Organisation Sioniste Mondiale pour leur soutien dans l’organisation de ce séminaire. Aux participants, il a proposé tout particulièrement d’inscrire le concept d’accueil au cœur des préoccupations et des programmes des communautés de type consistorial.

Joël Mergui

Enrichis par ces deux journées de rencontre fraternelle, d’écoute et de confrontation d’idées, chargés d’idées nouvelles, de bonnes résolutions et d’un surcroît de motivation, les participants se sont séparés à regret en se promettant de se retrouver l’année suivante pour une 3ème édition du chabbat des chefs de communautés.

© Photos DK-ACIP