100 ans après l’armistice de 1918, par Joël Mergui

Par sa brutalité et sa mondialisation la Grande guerre a bouleversé en profondeur les nations européennes et annoncé l’aube du XXe siècle et les différentes commémorations dans le cadre du Centenaire de cette Grande Guerre viennent rappeler l’importance d’un travail de mémoire qui engage la nation entière dans toutes ses composantes.

Peu connu, le rôle des israélites Français et des engagés volontaires juifs a pourtant confirmé leur patriotisme et leur intégration réussie à la patrie des Droits de l’Homme qu’ils ont défendu avec ardeur.

De 1914 à 1918, 32 000 combattants juifs ont vécu au rythme des privations, de la peur et de la mort. Près de 5000 (4940 recensés dans un livre du souvenir que nous avons édité en leur mémoire) d’entre-eux ne sont pas revenus.

Pour les 180 000 juifs français d’alors, le tribut est lourd mais signe définitivement l’appartenance et leur reconnaissance à la République émancipatrice, symbole de liberté et de civilisation.

L’Occupation le régime de Vichy finiront par avoir raison de leurs illusions lorsque les survivants de la Grande guerre et leur famille seront impitoyablement pourchassés par le gouvernement collaborationniste et antisémite du Maréchal Pétain.

La mémoire juive se passe aisément de défenseurs qui ne parlent en son nom que pour l’instrumentaliser dans des luttes politiques et n’ont cure de défendre la vie et le destin des juifs de France pas plus que de mettre en valeur l’existence d’un véritable patrimoine juif français ancré depuis des siècles dans l’identité et l’histoire de notre pays.

La mythologie antisémite voudrait – entre autres préjugés – que les Juifs, « âpres au gain », se détournent par nature et par lâcheté de la carrière des armes, noble entre toutes parce qu’elle défend la patrie en danger.

Rien n’est plus faux, comme le livre que nous avons réalisé «  Les soldats juifs dans la Grande Guerre » le démontre qui rend hommage à tous ces héros juifs anonymes ou non d’une guerre faite pour l’honneur, par amour et en témoignage de leur infinie reconnaissance pour la patrie civilisatrice entre toutes à leurs yeux, la France.

Les plus sceptiques diront que n’existent chez les Juifs ni traditions ni grandes familles militaires. Là aussi, c’est faire erreur et oublier un peu trop vite les juifs engagés dès 1792 dans la défense de la toute jeune République ou les soldats juifs qui ont combattu dans les armées napoléoniennes. C’est ignorer tout autant que les archives consistoriales ont consigné, dès 1871, la mémoire des gardes mobiles et volontaires juifs engagés dans la guerre de 1870 qui coûta à la France la perte de l’Alsace – Moselle.

Les Juifs sont et ont été de bons et loyaux français. Ils ont assimilé avec enthousiasme les valeurs de la République qui exigeait de tous les Français l’usage exclusif de la langue française comme ciment de l’unité nationale et la laïcité comme garantie de l’universalisme politique.

Avec certitude, ce sont 3500 anciens combattants français revenus vivants, et pour beaucoup décorés, de la Grande Guerre, qui seront exterminés comme Juifs dans les camps de la mort. Aucune des familles d’israélites ou de Juifs français ne sera épargnée par la Shoah. Toutes connaîtront les larmes et les drames et seront disloquées et pour certaines complètement anéanties. Les engagés volontaires juifs étrangers comme leur famille seront déchus de la nationalité française, pourtant acquise au prix de l’amour et du sang. Un pan entier du Judaïsme français partira en fumée.

Le séisme fut si profond que le traumatisme reste aujourd’hui encore solidement ancré dans nos mémoires. Dans l’imaginaire collectif juif français, on sait d’expérience que l’Union sacrée peut être remplacée par la désunion sacralisée. Nous savons aussi qu’en dépit de notre exemplarité, de notre passion française et démocratique, de nos braves, de nos anciens combattants, de nos modèles de culture française et laïque, nous ne devons compter que sur nous-mêmes et sur les Justes d’aujourd’hui et de demain pour continuer d’exister au cœur des nations que nous avons contribué à bâtir.

Les Juifs forment – n’en déplaise aux antisémites aigris et haineux-, le plus vieux témoignage vivant d’une culture, d’une religion, d’une langue, d’une histoire et d’une mémoire capables tout à la fois de rester elles-mêmes et de se mêler harmonieusement avec tous les peuples acceptant la diversité comme composante essentielle de leur présent et de leur avenir. Partout où les Juifs peuvent s’épanouir,  leur présence illustre publiquement, comme un signal positif à grande échelle, combien la diversité est possible et le vivre-ensemble, une réalité quotidienne.

Ce 11 novembre 2018, nous commémorerons partout dignement, dans nos synagogues, ce Centenaire d’un armistice qui clôt la Grande Guerre. Hommage à tous les soldats français, il sera aussi pour nous un hommage à tous les soldats juifs français et engagés volontaires étrangers, qui ont contribué à construire l’idéal d’une France unie, capable du meilleur – lorsqu’elle surmonte la tentation de l’antisémitisme avec foi en l’avenir –  et du pire, quand elle retranche de ses citoyens et de son histoire, ses anciens combattants juifs, leurs familles, leurs amis, leurs voisins au seul motif d’être juifs, autrement dit, différemment français.

J’ai espoir que cette mémoire s’adresse à tous ceux qui, aujourd’hui, luttent avec confiance pour que la France et l’Europe ne deviennent pas le théâtre d’un nouveau fléau antisémite à peine dissimulé sous le masque de l’antisionisme. A eux, à nous tous de faire œuvre de passeur et de transmettre l’exemple de nos générations passées pour servir d’enseignement.