Disparition de Yona Linke (zal) ou l’envol d’un Mensch

« Grand serviteur de l’Etat », c’est par cette formule révérencieuse qu’on rend hommage aux commis de la République qui se sont dévoués pour la cause de la nation et ont incarné ses valeurs.

« Grand serviteur du peuple juif » conviendrait tout aussi bien à Monsieur Yona Linke z.l. décédé le 13 septembre 2021, lui qui fit de sa vie une épopée où l’héroïsme du quotidien se dissimule derrière le sens du devoir et la modestie, et où la noblesse d’esprit s’exprime sous les traits d’humour et la discrétion.

De la Pologne où il naquit en 1929 jusqu’au Consistoire de Paris où il exerça sa « mission lévitique » de 1972 à 1997, en passant par le Yéchouv de sa jeunesse où il eut la fierté de prendre les armes pour défendre l’Etat juif en devenir, il révéla tant de visages et tant de talents : Directeur de colonies de vacances, directeur du Service des communautés de l’ACIP, enseignant auprès de centaines d’enfants qu’il prépara à la bar et bat-mitsva, correcteur pour le compte de l’éditeur BiblioEurope, chroniqueur musical sur Radio J, relecteur de l’incontournable calendrier consistorial…

On peut dire sans emphase qu’il se donna sans compter à sa fonction de Directeur du Service des communautés du Consistoire de Paris. Dans les années 1970, la plupart des synagogues de la région parisienne, créées ou réactivées quelques années plus tôt à l’arrivée des Juifs d’Afrique du Nord, étaient en pleine phase de structuration et de développement. Devant l’ampleur des besoins de tous ordres : activités religieuses, encadrement rabbinique, constructions, éducation, jeunesse…, le Service des communautés était sollicité de toute part et son directeur mettait un point d’honneur à répondre à toutes les sollicitations, ce qui nécessitait de sa part une présence constante sur le terrain communautaire et une participation à des centaines de réunions jusqu’à pas d’heure pour rencontrer les volontaires des commissions administratives locales. Pour l’anecdote, il arriva un jour qu’un administrateur s’impatienta en raison du délai nécessaire à la résolution du problème de sa communauté. Avec une pointe d’insolence il lança au visage de Yona Linke : « Monsieur, faites donc votre travail, nous nous sommes des bénévoles ! » Impassible, Yona Linke regarda sa montre et lui répondit avec ce sourire à la fois navré et bienveillant qui lui était si particulier : « Cher monsieur, il est près de minuit, et je suis moi aussi bénévole depuis la fermeture de mon bureau à 18 heures, sans compter que vous habitez dans le quartier alors que je dois parcourir 50 km pour rentrer chez moi ».

Mais Yona Linke c’est aussi cette fameuse plume, agile et inspirée, cette gouaille littéraire à laquelle on doit mille acrostiches poétiques où il donna libre cours à sa passion des mots et à sa verve humoristique dont l’atavisme yiddish s’échappait à son insu sous le vernis parigot. Avec ce dernier acrostiche, ô combien émouvant, il réussit à avoir le mot de la fin :

Y a-t-il un acrostiche qui ne vous ait charmé

Or cette mouture sera bien la dernière

N‘écoutez que le soupir de cet être sincère

Adieu à tous ceux qu’il a tellement aimés

Le Consistoire exprime sa plus profonde sympathie à la famille et à tous les proches de ce grand monsieur, ce Mensch, qui a servi fidèlement notre institution et a tant marqué l’histoire de notre communauté.

Que son âme repose en paix et soit source de bénédiction !

יהיה זכרו ברוך