Départs et nouveau départ, par Joël Mergui

Ces dernières années, des milliers de juifs français ont quitté la France pour aller s’installer en Israël. Notre histoire, jalonnée d’exodes, montre que les migrations « massives » de population juive sont généralement corolaires de puissantes vagues d’antisémitisme ou d’intolérance religieuse.

Lorsque le subtil équilibre entre appartenance juive d’un côté, et acceptation des juifs de l’autre, est rompu, les Juifs choisissent le départ, obéissant à l’injonction biblique de privilégier d’abord la vie. Pour peu que l’on s’attache à examiner les différentes destinations des mouvements migratoires juifs, le type de pays choisi conforte la thèse de l’antisémitisme comme cause du départ. En effet, les Juifs choisissent toujours une terre d’asile où il est possible de vivre comme Juifs, dans l’indifférence ou la bienveillance générale, quelles que soient les difficultés économiques ou les barrières de langue ou de culture.

Si pour les « nations contre la démocratie », l’absence de juifs nationaux ne pose aucun problème – et celle-ci est au contraire fêtée comme une victoire ou un progrès -, il en va en revanche tout autrement pour les démocraties. En effet, au risque sinon de nier les règles qui fondent les Etats démocratiques et assurent leur cohérence, les pays européens qui se vident de leur population juive ne peuvent accepter sans réagir l’amer constat que soustend la migration de leurs concitoyens juifs, et ce, soixante-dix ans seulement après que l’Europe ait voulu effacer toute trace juive.

Si aujourd’hui en Europe, mais surtout en France, l’Alya commence à alarmer la société civile et les pouvoirs publics, c’est qu’elle nous renseigne sur l’état d’ouverture réelle de notre pays, autrement dit son niveau ou son degré de tolérance.

Depuis la création moderne de l’Etat juif, Israël est devenu naturellement la destination évidente et privilégiée des Juifs qui veulent vivre sans entrave leur vie juive, lui impulser une nouvelle vigueur ou participer à la construction d’un pays où tout parait encore ouvert, à l’inverse de celles des nations où il devient difficile de concilier vie juive et vie culturelle, sociale ou professionnelle.

Or, l’Alya est l’amplification de phénomènes migratoires qui s’effectuent d’abord sur le sol national. L’exemple des villes nouvelles en périphérie des grandes villes et de la banlieue parisienne est à ce titre édifiant. Là où autrefois le « vivre-ensemble » républicain était de règle et l’autorité de l’Etat respectée, l’antisémitisme demeurait marginal et jugulé. Dès lors que des territoires de la République – aux sens politique, symbolique et géographique ont été perdus, les juifs ont commencé par sentir peser la menace antisémite et ont commencé à déménager. Ce fut d’abord au sein des cités, pour aller à quelques rues, puis de quartier en quartier au sein de la même ville, puis de ville en ville pour finir pour certains par quitter définitivement le pays. Ces territoires perdus de la République ou de la démocratie sont la friche idéale du rejet des juifs tout comme l’antisémitisme- s’il n’est pas suffisamment combattu – est le signe annonciateur de la perte des idéaux républicain et démocratique.

La reconquête par la République de ses territoires perdus sera longue et difficile et dépendra de la volonté politique comme des moyens mis en oeuvre, et la Nation pourra toujours compter sur notre investissement total, à l’instar de ce que les Juifs ont toujours fait à travers l’histoire. Pour plusieurs dizaines de milliers de juifs, il est déjà trop tard et l’exemple de communautés désertées, hier florissantes et dynamiques, est symptomatique. Les événements survenus cet été à Sarcelles sont malheureusement l’éruption violente et la manifestation visible d’un phénomène occulté, à l’oeuvre depuis des années, sans que rien n’ait été fait assez pour le stopper. Le djihadisme qui visait depuis longtemps les Juifs se révèle aujourd’hui au monde contre l’Occident et ses valeurs.

Pourtant, la majorité des juifs gardent espoir. Tout au long de notre histoire, nous avons appris à faire confiance en l’avenir, si la lumière faiblit quelque part, elle se rallume plus fortement ailleurs. D’importants mouvements de population juive transforment la géographie de nos communautés. Là où des localités ferment des synagogues, d’autres en voient se construire et participent au développement d’une vie culturelle et cultuelle juive active. L’exemple le plus probant est celui du 17e arrondissement de Paris, au coeur de la plus grande communauté juive d’Europe, qui bénéficie du déplacement des juifs franciliens. Là, preuve de l’espoir et de notre investissement concret en l’avenir, nous bâtissons le Centre Européen du Judaïsme.

Lentement, trop lentement encore, nous assistons au sein de la communauté juive française à un phénomène « d’alya interne » qui consiste au retour, à la montée ou au réveil des Juifs de France les plus éloignés de leur héritage juif vers leurs racines juives. A nous, à vous, de favoriser leur beau voyage de retour, de les aider à s’intégrer dans nos communautés, de les accompagner dans ce nouveau départ pour qu’ils trouvent enfin toute leur place au sein d’un judaïsme français encore florissant. C’est ce à quoi s’emploie désormais prioritairement le Consistoire qui appelle toutes les communautés juives et chacun d’entre nous à participer à ce nouveau départ, à ce nouvel élan.