…Comme un troupeau sans berger, par Joël Mergui

L’une des questions les plus aigues qui se posent aujourd’hui à notre communauté est celle de sa gouvernance. Comme toute collectivité digne de ce nom, les structures du judaïsme ont besoin d’être dirigées par des hommes et des femmes animés du « feu sacré », guidés par une éthique et une vision, dotés d’un esprit de dévouement « au nom du Ciel – Lechem Chamaïm » mis au service d’une cause commune : le maintien et le développement de la vie juive sous toutes ses formes.

Cette gouvernance doit nécessairement se renouveler, se réincarner à chaque époque sous des visages nouveaux et des méthodes nouvelles pour faire face aux réalités et aux besoins du moment.

Mais notre diaspora est confrontée aujourd’hui à plusieurs phénomènes qui, en se conjuguant, sont venus perturber le cycle naturel de renouvellement de notre leadership :

  • Après la génération des « pionniers » de la reconstruction d’après-guerre du judaïsme français est venue « l’armée » des continuateurs formés à l’ombre des géants qui ont fini par se « retirer des affaires » ou faire leur Alya, couronnement de toute une vie de militantisme au service des autres. Phénomène qui n’a cessé de s’amplifier pour atteindre son paroxysme avec la vague d’émigration actuelle vers Israël qui touche principalement le noyau dur de la communauté, au sein duquel se trouvent de nombreux leaders associatifs dont le remplacement est loin d’être assuré.

  • La « conscience communautaire » d’aujourd’hui n’est pas aussi développée que celle de la génération des bâtisseurs qui ont baigné dans l’époque glorieuse du sionisme et du bouillonnement idéologico-politique pré- et post-soixante-huitard.

  • Mais la cause principale de ce déclin de l’engagement personnel est sans doute à chercher dans le cycle du développement d’une collectivité comme la nôtre dont la phase de refondation des années 50, 60 et 70, fut marquée par l’enthousiasme des commencements à une époque où tout était à reconstruire. Il suffisait à une poignée de rescapés de la Shoah ou de rapatriés d’Afrique du Nord de se retrouver au milieu de la désolation de l’après-guerre pour se galvaniser mutuellement, entamer les chantiers de la renaissance du judaïsme français et relever les défis de la structuration des banlieues et des provinces d’où ont bourgeonné, comme une efflorescence printanière, des centaines de synagogues, associations, écoles, mouvements de jeunesse et commerces cacher en tout genre.

Mais aujourd’hui, cinquante ans après l’épopée de ce « far-west » judéo-français, que reste-t-il de cette énergie créative, de ce débordement de générosité des fondateurs ? Certes, l’engagement altruiste et le militantisme pour les mille et une causes du judaïsme existent toujours. Mais, reconnaissons-le, la crise du leadership dont on parle si souvent n’est pas un vain mot, les rangs des volontaires au sein de la vie juive se sont clairsemés, la vitalité de certains mouvements de jeunesse, principal vivier du militantisme juif d’autrefois, n’est plus ce qu’elle était.

Le rôle du continuateur est de toute évidence moins exaltant que celui du pionnier : poursuivre le fonctionnement de structures associatives bien huilées n’entraîne pas la même adhésion euphorisante que les challenges des mises en chantiers ex nihilo qui s’imposaient à nos pères fondateurs.

Une grande partie des jeunes Juifs d’aujourd’hui ont effectivement grandi, depuis leur naissance, trouvant une « table dressée », avec tous les services et commodités communautaires et familiales disponibles. Cela les a peut-être amenés à se contenter de tendre la main et de consommer sans ressentir le besoin de reproduire à leur tour le geste nourricier en faveur des autres.

Il nous faut donc trouver le langage adéquat pour sensibiliser et former de nouveaux animateurs « portés par leur cœur », qui s’attacheront à reprendre le flambeau transmis par les anciens et à inscrire leur action dans la durée. C’est dans cette exigence de continuité que réside « l’héroïsme » de la responsabilité qui nous rend comptables des besoins des Juifs d’aujourd’hui et nous fait un devoir d’anticiper ceux de leur postérité.

Au vu des centaines de communautés qui lui sont affiliées et de ses innombrables services centralisés et décentralisés offerts à tous les publics, le Consistoire représente de loin la plus grande réserve d’acteurs bénévoles et professionnels du judaïsme européen, ce qui, loin de nous endormir sur nos lauriers, nous fait obligation de former, d’impliquer, d’encadrer, de soutenir et de renouveler les effectifs de ces militants hors pair qui sont à la fois le cœur et la colonne vertébrale de la vie juive organisée.

Au-delà du don d’argent qui constitue l’un des piliers de la solidarité juive, le don de soi, à travers le volontariat du service communautaire, représente le summum de la bienfaisance.

Le rav Léon Ashkénazi z.l. présentait les travailleurs communautaires d’aujourd’hui comme les Lévites des temps modernes, soulignant ainsi le caractère sacré du sacerdoce de tous ceux qui, inspirés par la grâce divine et le souci du prochain, se mettent au service de leurs frères juifs sous la seule bannière de l’Amour d’Israël.

Nous avons là quelques arguments forts pour toucher le cœur de notre jeunesse et de tous ceux qui, quel que soit leur âge, sont animés du désir de donner, dans le but de répondre à l’impérieuse nécessité de la relève des cadres et de la bonne gouvernance de notre peuple.

Espérons que cet appel nécessaire au volontariat suscitera quelques vocations dans nos communautés, répondant ainsi à la supplique de Moïse de ne jamais « laisser l’assemblée de D-ieu comme un troupeau sans berger ».