Chronique d’un antisémitisme à combattre sous toutes ses formes par Joël Mergui

A peine publié, le chiffre de la hausse de 74 % d’actes antisémites en 2018 par rapport à l’an passé a libéré la parole autant que les actes, voire peut-être les passages à l’acte. A quelques jours de la remise d’un prix créé à la mémoire d’Ilan Halimi, sauvagement assassiné en 2006, l’arbre mémoriel planté pour lui rendre hommage a été sciemment scié. La vitrine d’un restaurant a été barrée du mot « Juden, » comme au temps des heures sombres du nazisme. Des boîtes aux lettres peintes à l’effigie de Simone Veil, le jour de son entrée au Panthéon, ont été taguées de croix gammées comme en furent recouvertes, quelques jours plus tard, 96 tombes d’un petit cimetière juif de Quatzenheim non loin de Strasbourg ou des portes d’immeuble de médecins parisiens au patronyme juif. Des gilets jaunes s’en sont pris dans la rue à l’académicien Alain Finkielkraut, lui déniant le droit de représenter la France et même d’y vivre tout en l’exhortant à rentrer chez lui en Israël à Tel Aviv « aux cris de « Palestine (…) Sale raciste (…) Nous sommes le peuple (…) la France est à nous. »

Mis bout à bout, ces graphitis, ces violences verbales et symboliques ont fini par provoquer l’écoeurement et l’appel des principaux partis politiques à se rassembler partout en France pour condamner l’antisémitisme. Depuis longtemps, nous attendions que la société civile et politique prenne l’initiative d’appeler à manifester contre l’antisémitisme, contre sa banalisation, contre l’indifférence, en prenant conscience que ce danger menace tout le monde et pas seulement les juifs. Enfin, nous avons eu l’impression d’être un peu moins seuls face à la violence de cette haine qui nous prend toujours pour cible et empêche même nos enfants, dans certains quartiers, de fréquenter l’école publique.

Pour autant, je ne peux m’empêcher de ressentir un profond malaise malgré ce sursaut des consciences. La société française ne s’est pas encore sentie assez concernée. Elle n’a pas assez pris conscience de l’enjeu véritable de ce fléau, dont la lutte est à mes yeux une véritable grande cause nationale.

Or, je l’ai dit et je le répète inlassablement, la fin des inhibitions en matière d’antisémitisme est toujours annonciatrice de la libération de toutes les haines. S’il a la capacité de les révéler toutes, c’est que l’antisémitisme est un indicateur fiable du niveau d’intolérance d’une société.

Qu’observe-t-on poindre aujourd’hui sinon le déferlement de toutes ces haines désinhibées ? C’est la raison pour laquelle tout le monde devrait se sentir concerné lorsqu’un juif est agressé ou nos symboles profanés. Nous sommes l’arbre qui cachons mal la forêt. Au début des années 2000 nous étions seuls à dénoncer cette montée rampante de l’antisémitisme qui taisait encore son nom et nous conduisait à nous exiler de certains territoires abandonnés, zones de non-droit où la République n’a plus désormais le droit de cité. L’islamisme radical et son compagnonnage extrémiste ont pu tranquillement prospérer des années sur le déni et l’indifférence, jusqu’à engendrer des vagues d’attentats meurtriers.

C’est pourquoi je peux paraître têtu, rabat-joie et sembler rabâcher tout le temps les mêmes alarmes. L’histoire récente et les faits ont hélas donné raison aux donneurs d’alerte toujours inquiets ! Il faut savoir et vouloir lire, comme interpréter, les signes annonciateurs de désastre pour se protéger du pire. Notre héritage et notre expérience de militants juifs engagés au quotidien depuis des décennies nous permettent de comprendre que la vitalité mortifère de l’antisémitisme est un des indicateurs les plus pertinents de la perte de cohésion sociale, de l’abandon des valeurs de fraternité, d’égalité et de liberté.

Pour ne pas perdre encore 10 ans dans la lutte contre ce mal qui désolidarise notre société quand il s’attaque aux juifs, il faut identifier les mutations idéologiques qui lui permettent de s’exprimer en toute mauvaise foi, au grand jour, sans tomber sous le coup des lois. Cet antisémitisme qui tait son nom en se cachant à peine sous le masque de la liberté d’expression, c’est l’antisionisme : une idéologie mortifère portée par les extrêmes et les islamistes et qui, sous couvert d’une opinion politique, amalgame négativement judaïsme et sionisme pour mieux combattre les juifs derrière Israël.

Or, si demain l’antisionisme n’est pas dénoncé, condamné et combattu avec des mesures, des personnes et des moyens particuliers, nous allons permettre que des antisionistes – par définition haineux à l’égard de l’État juif et des juifs -, défilent en toute impunité et avec bonne conscience sous la bannière de combattants acharnés contre l’antisémitisme. Le but des antisionistes n’est pas de critiquer la politique d’Israël comme n’importe quel pays pour lesquels il n’existe pas de mot spécifique, sauf pour l’État juif. Les antisionistes ne souhaitent que délégitimer la présence des juifs en Israël en même temps qu’ils dénient aux juifs français, le droit de faire partie du peuple français.

Les discours, les engagements de principes, les prises de conscience et les manifestations sont importants mais les actes le sont davantage pour que l’antisémitisme, sous toutes ses formes, dont l’antisionisme, soient combattus et condamnés. Parallèlement, il est aussi primordial que la communauté juive ne soit pas exclusivement vue sous le prisme de l’antisémitisme. Nous existons hors des antisémites. Nous sommes des bâtisseurs de quotidien autant que d’éternité. La vie juive française est dynamique et constructive. C’est notre réponse aux antisémites et aux antisionistes : nous, nous construisons la France au lieu de la détruire. C’est pourquoi accompagner nos projets et pas seulement nos deuils participe aussi à lutter contre l’antisémitisme…

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